La SACEM c’est swag, le CM c’est le turfu : rencontre avec Frédéric Neff

Pour la toute dernière #nufocus de 2014, nous avons voulu donner la parole à quelqu’un que nous connaissons depuis quelques années déjà et dont le parcours tout à fait atypique est à l’image de sa personne : curieuse, drôle et sacrément intelligente. Et en tant que Community Manager de la SACEM depuis plus d’un an, poste qui a été créé avec lui sachant qu’il est tout seul à gérer les comptes de l’institution plus que centenaire représentant des Auteurs, Compositeurs et Editeurs en France, Frédéric Neff a toujours des choses à dire et nous trouvions essentiel de partager son expérience unique au croisement de la musique et des réseaux sociaux. C’est pour cela que nous savons déjà que cette interview d’intérêt publique franche et rafraîchissante va vous plaire. Beaucoup. Bonne lecture !

Crédit photo : Marc Chesneau

Nüagency : Peux-tu te présenter : parcours et arrivée à ce poste ?

Frédéric Neff : J’ai un parcours un peu original. J’ai un master pro en Médiation Culturelle de l’Université d’Avignon. J’ai été disquaire, puis assistant chef de produit en distribution physique chez Abeille Musique pour tout ce qui n’était pas musique classique, avant de me lancer avec Viva Musica dans le conseil et la gestion de catalogue en distribution numérique. Je n’ai pas le profil 100% communiquant mais plutôt un profil médiation/pédagogie qui a baigné dans la filière musicale depuis 2003.

N : Parlons droits d’auteur et gestion collective : peux-tu rapidement résumer ce que c’est et nous dire si ce sont des concepts généralement compris par les gens qui mentionnent la SACEM sur les réseaux sociaux ?

Frédéric Neff : Si on doit résumer la vision de la Sacem sur les internets ça serait « la-mafia-organisée-par-l’Etat-au-service-des-majors-et-de-l’Hadopi-pour-voler-les-artistes-et-racketter-les-commerçants ».

Et dans les faits, la Sacem n’est rien de cela. C’est une entreprise privée à but non lucratif qui collecte les droits d’auteur et les répartit aux auteurs et compositeurs. C’est une entreprise qui est ultra surveillée et soumise à des règles de transparence. Les règles de répartitions sont publiques, tout comme les montants collectés et répartis.  

Niveau répartition, pour 80% des droits, elle se fait par l’œuvre. C’est un peu notre fierté et notre marque de fabrique. Cette précision dans la répartition implique une grosse gestion de big data en interne et explique les délais entre l’exploitation de l’œuvre et le paiement des droits.

Enfin la Sacem travaille à aider et accompagner ses sociétaires. Il y a des programmes d’aide à la production et l’autoproduction par exemple, mais aussi des choses simples et accessibles à tous comme le programme Sacem Plus, gratuit pour tous les sociétaires, qui leur permet d’avoir des réductions auprès de partenaires de leur quotidien (tarifs préférentiels pour des salons professionnels, des instruments de musiques, des logiciels et mêmes des hôtels et des locations de voitures pour réduire les coûts des tournées).

N : A quoi ressemble une journée type de Community Manager pour la Sacem ? 

Frédéric Neff : A rien. 😀 Ce métier est passionnant car aucune journée se ressemble. Le métier se compose en 4 parties :

– Ecouter : tracker les sujets qui nous concernent

– Qualifier : identifier les messages positifs et négatifs

– Répondre aux questions et aux « attaques »: un vrai travail de pédagogie

– Animer, donner une place à la Sacem sur les réseaux : raconter qui nous sommes en sachant toucher le bon public.

Dans la technique, ça se ressemble, mais dans les faits, aucune journée n’est identique.  La loi de Murphy s’applique aussi au CM [NDRL : au Community Manager], c’est quand on est le moins disponible qu’on est le plus sollicité.

N : Peux-tu nous donner un ordre de grandeur du volume de coms que tu modères et nous dire quels outils tu utilises au quotidien ?

Frédéric Neff : On est une sur moyenne basse de 3000 verbatim par mois. On a presque doublé en 1 an. Plus on est présent, plus on est cité, c’est mathématique.

Le bruit est éliminé en amont, lors de la création du corpus à tracker. On apprend que Sacem est aussi une pompe d’aquarium, une signalétique ferroviaire utilisée par la SNCF, une machine outil très présente en Europe centrale ou un mot serbe voulant dire à la fois peigne et grille. On a même été associé à des sites de rencontres coquines de l’autre côté de l’Atlantique.

Niveau outillage, j’ai Synthésio comme tracker. J’utilise Hootsuite pour la publication Twitter et la veille.

Pour l’exploitation des données, TwitonomyAds Twitter (nouveau et qui évolue de jour en jour) que je met en parallèle avec TweetReach. Pour les statistiques Facebook j’utilise Facebook, car c’est le moins pire pour avoir des données complètes. Pour les données Instagram, j’utilise Iconosquare.   

La difficulté (surtout avec Facebook) c’est que la qualification des données, la mesure de la portée et de l’engagement changent assez souvent. Il faut comprendre les évolutions et les anticiper. Pour les autres services aussi, les paramètres de mesure changent assez souvent. Il faut donc savoir changer d’outils rapidement et savoir trouver ceux qui correspondent le mieux à vos besoins.

Crédit photo : Frédéric Neff

N : Sur la base de tes observations quotidiennes, quels sont les choses les plus difficiles à expliquer en 140 caractères ?

Frédéric Neff : Dépassionner un débat, c’est le plus difficile en 140 caractères. L’humour fonctionne bien mais ce n’est pas du tout universel ! Je suis surpris du manque d’humour de la part des internautes.

J’ai une citation d’un entraiîeur de rugby affichée dans mon bureau qui explique bien ce qui est difficile dans la vie d’un CM : « Ce n’est pas toujours facile, car l’être humain peut écouter les explications mais n’est pas obligé de les comprendre ».

N : Y a-t-il des astuces ou conseils que tu souhaiterais partager en tant que CM ?

Frédéric Neff : La première astuce : rire !  Je pense que tout CM est confronté à un volume plus ou moins fort de « bashing ». Il faut arriver à prendre un peu de distance avec ça. Le CM de Price Minister a, par exemple, un petit jardin japonais sur son bureau.

Il faut aussi et surtout savoir se mettre à la place de son interlocuteur. Savoir à qui l’on parle bien sûr et adapter son langage. Sur les réseaux, les échanges sont motivés par l’émotion. C’est un peu le comble dans une société de l’information, où l’on a accès à toutes ces données, de délaisser la réflexion pour la passion. Un échange, une prise de parole, un commentaire d’article ou de post Facebook n’est (presque) jamais neutre, il est porté par une émotion. Ne pas voir et comprendre l’émotion de son interlocuteur, c’est l’échec garanti.

Enfin, le conseil ultime c’est de penser à se déconnecter. C’est, à mon avis, essentiel de savoir lâcher prise pendant ses vacances. Prendre de la distance.

N : Quel a été le pire et le meilleur moment de ta vie de CM à la Sacem ?

Frédéric Neff : Il y a tellement de meilleurs moments : des rencontres avec des internautes qui vont commencer la conversation par « bande de voleurs » (pour être poli) et la finir avec un « merci ». En règle générale, c’est quand on vous dit merci. On a pu apporter une information, un service. On a cassé la spirale de « la Sacem, tous des voleurs ».

Le pire, ça reste l’insulte gratuite et la bêtise gratuite et raciste. Celle qui rebondit de RT en RT mais à laquelle on ne peut pas répondre. Le message intégriste, aspirateur à troll qu’il faut laisser de côté même si votre plus grand souhait est de foncer pour « péter des rotules ». C’est dur mais c’est l’apprentissage de la sagesse. 😀

N : Une dernière question : peux-tu nous en dire plus sur les coulisses de ton tweet d’anthologie  » Le droit d’auteur c’est swag, la gestion collective c’est le turfu » ?

Frédéric Neff : Le hip hop est sans doute sur les réseaux sociaux l’esthétique musicale la plus loquace à propos de la Sacem. C’est aussi sûrement le genre musical où le principe de collecte et de répartition est le plus compris : plus ton œuvre est exploitée, plus tu touches des droits. Avec une culture du battle, tant au niveaux des créateurs que du public (qui de Booba ou de la Fouine a vendu le plus ?), et des problématiques spécifiques (tu as utilisé mon son sans autorisation ou sans payer), la Sacem revient couramment dans les conversations ainsi que dans les paroles de chanson (« Demande à la Sacem qui est le boss » ou « ta mère la pute c’est ton nom à la Sacem »).

La Sacem est la société de tous les auteurs et ce, quelles que soient leurs créations. Nous avons d’illustres auteurs, de Hugo à Berlioz, de Verdi à Gainsbourg, de Jean-Michel Jarre à Catherine Ringer (la liste est très longue^^). Notre répertoire concerne tous les genres musicaux. Il est essentiel de communiquer sur cette diversité et aussi d’utiliser les codes de chaque esthétique pour capter son public.

Le but de ce message était double. En plus de la connexion hip hop, je souhaitais répondre d’abord à une rengaine persistante, qui était quelques jours auparavant le sujet d’une conférence :  » Le droit d’auteur est il un frein à l’innovation ? ». Non non et 1000 fois non. Le droit d’auteur est tout sauf un frein à l’innovation.

Avec « Les droits d’auteurs c’est swag, la gestion collective c’est le turfu », j’ai pu faire d’une pierre deux coups. Communiquer avec humour sur la modernité du droit d’auteur et faire un clin d’œil linguistique au hip hop en empruntant les mots Swag et Turfu. Je ne pensais pas par contre avoir tel un impact. 😀

© Propos recueillis par Emily Gonneau.

Liens

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– Frédéric Neff : Site Viva Musica / Twitter

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