Cela faisait un petit moment que nous voulions donner la parole à Suzanne Combo, et c’est enfin chose faite ! Artiste confirmée, son parcours impressionnant l’a menée à cofonder la Guilde des Artistes Musiciens en 2013 pour représenter les artistes au niveau des pouvoirs publics nationaux et européens, notamment en ce qui concerne les enjeux de la musique en ligne. Dans cette interview fleuve, elle revient sur la genèse de la GAM et les différentes actions menées depuis sa création. Elle explique également les nouvelles problématiques et enjeux actuels tels que la création du Centre National de la Musique et la Directive Européenne sur le Droit d’Auteur (et son fameux Article 13 que YouTube craint tant). C’est une entrevue passionnante, qui permet d’en apprendre plus sur la juste rémunération des artistes à l’ère numérique : bonne lecture !
Auteure et compositrice interprète, ex-membre du groupe Pravda et Tu seras terriblement gentille, et désormais en solo ! Une belle carrière d’artiste, qui vous a mené aujourd’hui la GAM, où vous êtes Directrice Générale depuis sa création. Pouvez-vous nous en dire un plus sur votre carrière et nous présenter la Guilde des Artistes Musiciens?
Je suis bordelaise, montée à Paris pour mes études de lettres. J’ai démarré mon duo d’électro punk Pravda en 2003, lorsque j’étais en Khâgne à Fénelon. J’avais fait 10 ans de piano au conservatoire, mais ne connaissait rien à la musique amplifiée. J’ai appris seule à jouer de la basse, des synthés analogiques et à chanter sur scène. J’écrivais les textes, en français et en anglais. On a choisi de tourner pendant 3-4 ans avant de sortir notre LP en 2007. Nous avons crée notre label, « Le Chinois », et nous faisions tout nous-mêmes : l’enregistrement sur Cubase à la maison, la confection de CD démos et de T-shirts qu’on vendait sur notre propre site internet. La stratégie d’écumer les clubs à Paris et en Province a plutôt bien payé. Rock & Folk faisait la part belle à la nouvelle scène rock française et nous faisait bénéficier d’une forte visibilité en nous programmant au Gibus ou en nous dédiant des articles. Myspace a aussi été un vecteur essentiel de notre succès en France comme en Allemagne, au Royaume Uni, en Russie où nous avons beaucoup tourné et vendu.
En pleine effervescence rock and roll, j’intègre Sciences Po Paris. Pendant 2 ans, j’ai mené de front mes études, la sortie promotionnelle de notre album et la tournée qui s’ensuivit. Nous avons eu la chance d’être invités par des groupes comme Placebo ou Indochine à faire leurs premières parties à Bercy et dans des Zéniths.
J’évoluais en parallèle à la guitare au sein du groupe féminin de garage surf « Tu seras Terriblement gentille ». J’adorais ce groupe, on était ultra spontanées et en même temps intransigeantes sur l’esthétique sonore. Nous avons enregistré un 45 tours produit par Emilie Simon et sorti chez Born Bad.
En 2008, mes deux groupes se séparent. Mon diplôme tout juste en poche, je choisis de me consacrer entièrement à la composition et l’écriture d’un album solo.
A ce moment là, Nicola Sirkis m’appelle pour me proposer d’écrire des textes sur le prochain album d’Indochine qui deviendrait « La République des Météores ». Il en choisit plusieurs dont « Un ange à ma table » qu’il me propose d’interpréter avec lui en duo, puis il m’invite à faire leur première partie sur quelques dates du « Meteor Tour ».
Fin 2012, je m’épuise un peu dans un projet musical et commence à sortir le nez de mon pro-tools pour m’intéresser de plus près aux enjeux de la musique en ligne pour nous les artistes. C’est ainsi que je vais participer à la naissance de la Guilde des Artistes de la Musique.
Quelle est l’idée fondatrice qui a motivé la création de cette association en 2013 ?
Les artistes ont changé en s’adaptant au numérique, et leur représentation ne reflétait plus cette transformation. L’artiste est multi-casquettes, de la création à la promotion de son oeuvre, il se mue en véritable entrepreneur, en prise à 360° avec le secteur musical, avec des outils digitaux de plus en plus accessibles qui favorisent son autonomie.
En 2012, les représentants du secteur musical discutent ensemble de la création d’un Centre National de la Musique, projet qui finira par être enterré. Avec certains artistes, nous remarquons que nous ne sommes pas conviés aux discussions. Or, nous commençons à ressentir (enfin!) le besoin urgent de prendre part à la reconfiguration de notre secteur pour que cette révolution numérique nous ressemble et nous profite.
Partageant ce constat avec Axel Bauer, Kent et Issam Krimi, nous invitons une quarantaine de nos copains artistes à une petite réunion à la maison. L’idée de se fédérer au sein d’un think tank et d’un groupement d’intérêts qui pourrait représenter la voix collective des artistes dans les débats qui les concernent séduit les artistes présents. Conscients que la valeur de nos oeuvres se concentre de plus en plus aux mains de quelques uns, nous sommes convaincus que nous serons plus forts si nous sommes fédérés et bien informés.
La GAM est créée officiellement en Mars 2013, Axel Bauer sera le Président, Kent le Trésorier et Issam Krimi le Secrétaire, quant à moi je prends la direction générale des opérations. Ce ne sera pas un syndicat car nous sommes à la fois employeurs et employés et nous préférions aussi avoir une structuration plus agile.
Quelles ont été les différentes actions de la GAM depuis sa création et quelles sont vos actions au quotidien ?
Au tout début, nous ne savions pas si notre association allait fonctionner. Mais chaque année nous avons réussi à monter en puissance et prouver notre utilité pour l’ensemble de l’industrie musicale.
Sur le plan institutionnel :
Dès notre création, la GAM contribue au « Rapport Lescure » pour un Acte II de l’exception culturelle. Nous partageons nos expériences métiers et nos difficultés avec Pierre Lescure qui proposera dans son rapport des solutions concrètes et viables pour nous répondre.
En 2014, Christian Phéline nous invite à contribuer activement à sa mission sur l’objectivation du partage de la valeur entre les artistes et les producteurs. Nous montons alors un groupe de travail avec des avocats de la propriété intellectuelle et des managers afin de réunir les données contractuelles et prouver le besoin urgent de réguler notre secteur en crise. Les préconisations de Mr Phéline qui ont émergé de notre collaboration restent pertinentes en 2018.
En 2015, un projet de loi création (LCAP) circule dans les couloirs parlementaires. C’est alors que Fleur Pellerin, Ministre de la Culture et de la Communication, propose une médiation entre les producteurs phonographiques, les plateformes de streaming et les artistes autour du magistrat à la Cour des Comptes, Marc Schwartz. La GAM joue alors un rôle prépondérant dans ces négociations : nous soumettons des propositions majeures pour améliorer la transparence des informations et la rémunération des artistes. Après 4 mois d’âpres négociations, nous signons « les accords Schwartz » le 2 Octobre 2015. Ces accords reconnaissent notamment que l’assiette de rémunération des artistes n’est plus seulement le prix de gros hors taxe d’un support physique, mais un nuage financier opaque comportant des avances, des minima garantis et de prises de participation en capital que les producteurs s’engagent enfin à partager avec les artistes. Ces accords mettent aussi le doigt sur les pratiques opaques des abattements qui permettent aux producteurs de réduire notre rémunération à chaque investissement qu’ils font. L’engagement 5 de l’accord interdit la pratique de l’abattement dit « numérique » (qui n’avait aucune justification!).
Chaque engagement de ces Accords donneront lieu pendant 2 ans à des groupes de négociation entre la GAM, les syndicats d’artistes et de producteurs, pour les mettre en oeuvre.
En 2016, nous avons également conçu et défendu une dizaine d’amendements à la Loi Liberté de Création Architecture et Patrimoine.
Sur le plan pratique, nous organisons un évènement annuel (GAMday) qui consiste à favoriser la rencontre entre start-ups musicales et artistes, et à créer des débats où l’artiste a une position centrale.
On organise des workshops réguliers sur des sujets concrets comme la distribution digitale (merci Emily Gonneau :-)), l’outil « content ID » de YouTube, les subventions etc., et nous rédigeons des fiches pratiques à destination des adhérents.
Notre rôle, c’est aussi de permettre à la voix des artistes d’être médiatiquement audible, grâce à des tribunes, des pétitions, des communiqués de presse, des interviews et des campagnes médias. Nos difficultés, tout comme nos solutions, doivent être entendues. Car notre vocation est d’agir pour une transformation positive et équitable de la musique en ligne.
Aujourd’hui nous rassemblons plus de 430 artistes de toutes les esthétiques et nous avons gagné notre place à la table des discussions de l’industrie grâce à notre représentativité et à nos connaissances techniques des sujets qui nous touchent.
La GAM travaille toujours/à nouveau sur les négociations concernant une rémunération minimale garantie pour les interprètes sur l’exploitation digitale de leurs œuvres, notamment au niveau européen. Auprès de quels types d’acteurs de l’industrie musicale militez-vous et quelles sont vos revendications ?
Au niveau français, la Loi stipule que les artistes pourront bénéficier d’une « garantie de rémunération minimale » sur leurs revenus du streaming. Les syndicats doivent en revanche en négocier les modalités : est-ce un taux minimum ? Un forfait ? La GAM a toujours préconisé que ce soit sous forme d’un taux minimal à 2 chiffres pour que cela puisse correspondre à la réalité économique du streaming. Mais les négociations ont échoué une première fois en Juillet 2017. Elles reprennent en ce moment mais se concentrent sur la rémunération des musiciens dits d’accompagnement. Nous ne savons pas à ce stade si cela aboutira.
Le projet d’un Centre National de la Musique a refait surface grâce à Françoise Nyssen. Un CNM faisait partie des 10 propositions que la GAM avait formulées auprès des candidats à la présidentielle 2017. C’est donc tout naturellement que nous avons ardemment contribué à la Mission de préfiguration menée par les députés LREM Emilie Cariou et Pascal Bois, pour nous assurer que les artistes bénéficient pleinement de l’existence d’un tel opérateur public. Il s’agit de préconiser son périmètre de missions (observation, soutien à la création, export…), sa gouvernance et ses financements. Nous souhaitons que le CNM crée de la transversalité et de la solidarité entre nos métiers pour garantir l’efficacité de l’accompagnement des artistes, de la création de leurs oeuvres à leur diffusion en streaming et sur scène.
Un autre cheval de bataille, c’est de clarifier et de simplifier les conditions d’exercice des artistes qui s’auto-produisent. En effet, la cohabitation entre le régime de l’intermittence et l’entrepreneuriat est complexe et contraint souvent les artistes à « bricoler » alors même qu’ils souhaitent respecter les règles. Nous réfléchissons à des solutions qui permettraient aux règles de s’adapter à la pratique, et qui pourraient garantir la protection de ces artistes tout en encourageant leurs initiatives.
Nous soutenons aussi le combat des producteurs phonographiques et de spectacle vivant pour sauver leurs crédits d’impôt menacés d’être supprimés par le gouvernement. Ces crédits sont le levier indispensable à la diversité culturelle de notre pays.
Vous êtes également co-fondatrice, vice-présidente et directrice de l’IAO, l’International Artist Organization, une organisation qui rassemble les groupements d’artistes au niveau international. Quel est le but de cette initiative et comment cette initiative a-t-elle été reçue à l’étranger ?
Après avoir crée la GAM, nous avons découvert l’existence d’une structure identique, la Featured Artists Coalition en Angleterre. Ils représentent de très gros artistes (Radiohead, Blur, Imogen Heap, Annie Lenox, Katie Melua …). Nous nous sommes rapidement rencontrés et de fil en aiguille, nous avons tissé une toile européenne. Nous sommes aujourd’hui 11 pays membres. Nous aidons des pays à se structurer sur le modèle de la GAM (à l’instar du RAM au Canada, de Coartis en Espagne ou de la CAFM en Croatie).
Nous avons été agréablement surpris de voir que, malgré nos spécificités nationales, nous partagions le même constat, que les Artistes ne sont pas représentés dans les débats européens, et les mêmes difficultés et la même solution, que l’union fera notre force. Nous voulions être l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics européens en ce qui concerne les problématiques des artistes entrepreneurs et participer ensemble au développement équitable de la musique en ligne. Nous travaillons main dans la main depuis 3 ans, nous nous concertons et partageons d’importantes informations.
A l’étranger, les artistes sont séduits par notre initiative et se structurent volontiers en prenant modèle sur nos statuts (Namibie, Brésil …) ou sur nos succès nationaux. Par exemple, « Les Accords Schwartz » que la GAM a signés en 2015 ont fait le tour du monde, à la demande de plusieurs pays comme la Colombie. C’est très encourageant et surtout très utile.
Actuellement, nous sommes tous concentrés sur la Directive européenne sur le droit d’auteur. Nous allons souvent à Bruxelles ou à Strasbourg pour veiller à ce que le texte soit équilibré et applicable dans nos pays. La bataille est très tendue, et se concentre beaucoup sur le fameux Article 13 qui vise principalement YouTube (pour ne pas le nommer). En effet, YouTube n’est pas « responsable » des contenus que ses utilisateurs mettent en ligne. Il est simple « hébergeur ». Cela crée une distorsion de concurrence considérable avec les « pure players » qui proposent des offres légales payantes et qui, eux, doivent négocier des licences pour être autorisés à exploiter leurs catalogues. D’autre part, YouTube, qui génère plus de 110 milliards de dollars de recettes publicitaires grâce aux pré-roll vidéos, concentre le plus grand nombre d’utilisateurs sur sa plateforme mais ne rémunère pas, ou bien trop peu, les créateurs qui fournissent quand même la matière première du business de YouTube. L’article 13 est supposé corriger cette inégalité. Mais le lobbying de Google est sans imite et voilà que YouTube écrit à ses Youtubers pour les abreuver d’idées fausses, et les muer en une véritable petite armée qui va effrayer nos enfants qui regardent leur chaîne, en leur faisant croire que YouTube, voire Internet, « vont purement et simplement fermer ». Jusqu’où ira donc le cynisme de l’entreprise la plus riche de l’Univers ?
La difficulté de l’article 13, c’est d’essayer de résoudre l’équation d’un internet aussi libre que respectueux du droit d’auteur. Pour nous, la rédaction adoptée par le Parlement européen en Septembre est le bon compromis.
Mais pour que l’Article 13 trouve sa vertu auprès des artistes interprètes, il faut nécessairement que les articles 14, 15 et 16 soient adoptés dans la version de Septembre. Car ce sont eux, et seulement eux, qui nous garantissent une meilleure transparence et un juste partage de la valeur générée par l’exploitation de nos oeuvres sur YouTube en particulier et sur le streaming en général.
Pour nous, il s’agit de promouvoir l’adoption d’un bloc d’articles (du 13 au 16) qui forme un tout cohérent juridiquement. L’article 13 seul ne produirait aucun effet direct sur les artistes interprètes. Le droit des artistes-interprètes est le plus fragile de tous. Il est impératif d’en prendre conscience et de se mobiliser pour le renforcer.
Quel est l’intérêt pour les artistes d’adhérer à la GAM ? Même s’ils n’en sont qu’aux débuts de leur carrière ? Combien ça coûte et comment ça marche ?
L’adhésion se fait en 3 clics sur notre site. Elle est réservée aux artistes professionnels (émergents comme confirmés). Elle est de 40€ par an renouvelable.
Sans adhésion, l’association ne serait pas représentative et ne pourrait donc ni agir, ni informer, ni peser dans les débats qui nous concernent. Il est donc ESSENTIEL que chaque artiste adhère : 40€ par an ça peut paraître beaucoup pour des artistes en difficulté, mais c’est très peu par rapport au travail que nous effectuons au quotidien.
Concrètement, adhérer ça permet :
– d’avoir le plaisir de se réunir entre artistes de la musique.
– de soutenir le premier groupement d’intérêts géré par les artistes et pour les artistes.
– de participer à la réflexion et aux prises de décisions de l’association.
– d’être invité aux différents évènements organisés par la GAM.
– de bénéficier d’un accès privilégié à nos journées de formation.
– de recevoir régulièrement une lettre d’information, une revue de presse et un bilan annuel de l’association (PDF).
– Soutenir les objectifs de la GAM pour une industrie musicale transparente et équitable.
Pour les artistes qui en sont aux débuts de leur carrière, l’adhésion leur permet de bénéficier :
– de conseils juridiques individuels pour ceux qui doivent négocier un contrat sans pour autant pouvoir payer un avocat.
– de conseils pour comprendre l’organisation de la filière musicale et savoir s’orienter, choisir le ou les partenaires les plus pertinents selon le projet.
Un dernier mot pour la fin ?
Together Louder !
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