La 10ème édition du MaMA Festival & Convention a fait la part belle à une thématique majeure : la place des femmes dans l’industrie musicale. Plusieurs tables rondes, échanges et conférences ont donc été organisés, et parce que c’est un sujet dont il faut (malheureusement) toujours discuter en 2019, nous avons décidé de le remettre en avant chez nüagency.
Emily a organisé et co-animé deux conférences sur la place des Femmes dans la Musique en compagnie de Sophie Bramly, productrice. La première était dédiée aux chiffres et aux mesures, afin d’établir un premier diagnostic de la situation en France. La seconde a été l’occasion de mettre en lumière les dispositifs d’accompagnement et de mise en réseau des femmes dans la musique en France et en Europe.
Vous pouvez lire le premier compte rendu ici, et découvrir celui de la seconde table ronde ci-dessous.Les Femmes dans la musique – L’Union fait la Force – Réseaux & initiatives
Cette seconde table ronde organisée et modérée par Emily avait pour objectif d’identifier et de mettre en lumière les réseaux et initiatives d’accompagnement des femmes dans la musique. 10 réseaux et collectifs, internationaux et français, ont été présentés, certains pour la première fois, au MaMA.
Les réseaux et initiatives au niveau international
Emily a introduit 4 réseaux et initiatives à portée internationale et leur a demandé quels étaient les impacts de leur action à ce jour, ainsi que leurs sources de financements.
Women@Cisac, représenté par sa responsable Silvina Munich, également directrice des répertoires et relations avec les créateurs de la CISAC, est un réseau officiellement lancé au début de l’année 2019. Ce groupe vise à mener des recherches, à sensibiliser et partager les meilleures pratiques pour aider les sociétés membres de la CISAC et leurs créateur.ice.s à atteindre la parité. Women@CISAC a mené un travail de recherche avec ses membres au niveau international : les premiers chiffres et mesures seront dévoilés lors de la première édition du congrès Women@CISAC les 4 et 5 novembre 2019 à Lisbonne.
Depuis le lancement de cette initiative il y a un an, 2 femmes ont été nommées à la tête de sociétés de gestion collective américaines. Women@CISAC a également agi sur les conditions des contrats d’assurances pour les femmes dans le secteur audiovisuel au Royaume-Uni : « on ne peut plus demander aux femmes la date de leurs dernières règles ou si elles ont déjà eu une MST ! ». Le réseau est aussi partenaire du programme Across the Board 2020, qui vise à la parité des postes de direction au Canada dans la filière musique : « En deux ans, le taux de femmes à ces postes est passé de 17% à 40%. », s’est félicité Silvina Munich.
Keychange, représenté par sa chargée de liaison Francine Gorman, est une initiative européenne, à visée internationale, qui promeut l’égalité Femmes-Hommes dans le secteur musical. La campagne a été lancée en 2018, avec un manifeste qui invite les festivals, mais également toutes les structures de l’industrie, à présenter un line-up et/ou des équipes entièrement paritaires et inclusives. A ce jour, 300 organisations ont signé le manifeste. Keychange vient également de lancer la 2nde édition de son programme qui vise à repérer et accompagner 74 femmes innovatrices de la filière. L’appel à candidatures se clôture le 30 octobre 2019.
Les signataires du manifeste s’engagent à atteindre la parité dans leur line-up ou au sein de leur équipe d’ici 2022. En termes d’impact, « aujourd’hui quand un festival affiche une programmation 100% masculine, le public s’indigne sur les réseaux sociaux : la prise de conscience se fait. », a expliqué Francine Gorman. Déjà présent dans 12 pays, Keychange vise à se développer dans toute l’Europe grâce à un financement de 1,4 millions d’euros de la Commission Européenne.
Voices of Culture, le dialogue structurée de la Commission Européenne, représenté par une de ses participantes Laura Gardes, également coordinatrice du programme JUMP, est une initiative de la Commission Européenne, qui vise à mettre en place un dialogue entre les institutions européennes et les professionnel.le.s de la culture, notamment sur le sujet de l’égalité Femmes-Hommes. 35 représentant.e.s des sphères publiques et privées se sont réuni.e.s. autour du sujet afin de proposer un rapport à la Commission Européenne, le 05 novembre à Bruxelles.
JUMP, le programme d’accélération de projets et d’initiatives de la filière musique en Europe, portée par la Commission Européenne, est également engagé sur ce sujet : « tout est paritaire dans l’appel à candidatures. », a rappelé Laura Gardes. En 2019, la co-fondatrice de la plateforme WILM a rejoint la première édition du programme : elle a bénéficié pendant un an du mentorat de Celia Castillo Carillo de MIM. L’appel à candidatures pour faire partie des Fellows 2019-2020 se clôture le 02 novembre.
MEWEM, représenté par Maud Gari, déléguée générale de la FELIN, est un programme de mentorat exclusivement féminin dédié aux entrepreneuses de la musique. Il a été initié pour répondre à ce chiffre : seules 14 des organisations de la filière musique sont fondées ou dirigées par des femmes. Ce programme, inspiré par une initiative lancée par VUT (Verband Unabhängiger Musikunterneihmer), a été lancé en 2018 : 12 entrepreneuses ont été mentorées pendant 5 mois par 12 mentores seniors, dont faisait partie Emily Gonneau. Les candidatures pour la seconde édition sont ouvertes jusqu’au 30 novembre 2019.
« Nous savons que les femmes entrepreneuses rencontrent plusieurs obstacles : le financement, le manque de rôles modèles et la mise en réseau. Avec ce programme, nous avons la capacité d’agir sur ces trois points. », a expliqué Maud Gari. MEWEM a été financé par Music Moves Europe, une subvention de la Commission Européenne.
Les réseaux et initiatives à portée nationale en cours de développement
Emily a ensuite présenté 3 réseaux et initiatives européennes qui agissent au niveau national et leur a posé deux questions : quels sont les points d’obstacles rencontrés ? Quels sont les prochains enjeux de développement ?
SheSaid.So France, représenté par sa co-fondatrice et présidente Yaël Chiara, est un réseau crée en 2017 en France, dédié à toutes les femmes travaillant dans l’industrie musicale. SheSaid.So est une initiative mondiale créé en 2015 et est présente dans 16 pays. SheSaid.so France est un groupe Facebook avec plus de 3300 membres, qui organise des meet-ups à Paris et en région, pendant lesquels une femme vient partager son expérience et sa carrière. Des sessions de mediatraning sont également organisées « pour que les femmes soient les meilleures ambassadrices de leurs discours ; nous avons toutes le syndrome de l’impostrice ! », a expliqué Yaël Chiara. Une session de coaching collectif a d’ailleurs été organisé en amont du MaMA 2019 pour toutes les femmes intervenantes.
SheSaid.so France est actuellement en train de créer une base de données pour identifier les expertes de l’industrie musicale, « mais nous avons besoin de ressources pour la mettre à jour ». SheSaid.France a noué de nombreux partenariats de visibilité (La Nouvelle Onde, Mewem, Stri-It, etc.), pour encourager les femmes à se lancer. L’objectif désormais est de s’étendre en région et de développer les sessions de mediatraining.
WILM (Women of Live Music), représenté par Sana Romanos, coordinatrice et chargée de communication, est une plateforme web crée en 2017 au Danemark pour les femmes qui travaillent dans l’industrie du live (ingénieure du son, cheffe opérateur, costumière, régisseuse, etc.). Cette plateforme, présente dans 10 pays, a pour objectif de connecter toutes ces femmes qui représentent moins de 10% des employées dans l’industrie du live et de leur proposer le soutien d’une communauté. WILM met également en place des programmes de mentorat, de formation et des workshops : « Dans ces métiers, les femmes ont tendance à stopper leur carrière plus rapidement que les hommes, à cause du manque de soutien et d’inspiration. », a-t-elle expliqué.
Au départ, le plus dur pour WILM a été d’identifier les femmes travaillant dans les coulisses : « Les réseaux sociaux ont été notre premier outil, mais ce n’est pas suffisant. » Il a ensuite fallu trouver des partenariats financiers : « Nous nous sommes d’abord tournées vers des marques qui ont pu financer rapidement nos activités : le premier partenariat a été noué avec la brasserie danoise Tuborg. », a expliqué Sana Romanos. WILM souhaite prochainement mettre l’accent sur la formation, avec des ateliers pour encourager des jeunes femmes à rejoindre ces métiers de la musique, tout en empouvoirant les femmes du secteur. « Pour cela, nous avons besoin de plus de financements. »
MIM (Mujeres in Musica), représenté par sa co-fondatrice Celia Carrillo Castillo, est une association professionnelle espagnole lancée en 2016, qui fait du lobby et de la sensibilisation sur l’égalité Femmes-Hommes dans le secteur de la musique : « Nous sommes déjà reconnus dans le pays par le gouvernement, des festivals, des labels. etc. qui s’adressent à nous sur les sujets de parité dans le secteur ou pour contacter des femmes expertes dans leurs domaines. », a-t-elle expliqué. A ce jour, l’association compte 380 membres, femmes et hommes, dans tout le pays, issus de tous les secteurs de la filière.
« La crédibilité est la clé pour pouvoir agir efficacement. », a expliqué Celia Carrillo Castillo. Premièrement, l’adhésion à l’association est payante : « en payant 60€, l’idée est de donner pour aider les autres, et pas seulement soi ». Le comité de direction est composé à 50% de femmes qui ont une grande et longue carrière dans le secteur et de 50% de jeunes entrepreneuses et artistes, afin de partager les expériences et les retours de chacunes. MIM a commandé une étude sur la place des femmes dans la musique à l’Université de Madrid Carlos III, dont la première phase sera présentée à la fin de l’année. « Mais notre but principal, c’est de disparaître, parce qu’on n’aura plus besoin de nous. »
Les réseaux et initiatives underground et ciblés en France
Emily a présenté 4 initiatives françaises, mises en place par des femmes qui ont aussi décidé de faire leur révolution à leur niveau. Comment ces projets se sont-ils montés ? Comment évalue-t-on l’impact de son action ?
Loud’Her, représenté par sa co-fondatrice Marion Tanguy, est une association créée en 2018 dans les Hauts-de-France, qui compte une soixantaine d’adhérentes. Loud’Her a été fondée pour « se retrouver autour de valeurs communes afin de défendre la place des femmes dans les musiques actuelles » sur scène et dans les coulisses, avec des actions de sensibilisation auprès des spectateur.ice.s mais aussi des professionnel.le.s. Loud’Her est parti d’un constat : « dans les Hauts-de-France, il n’y a que deux programmatrices. » Depuis, l’association a publié un manifeste, organise des réunions mensuelles et démarchent des salles de concerts pour les sensibiliser sur cette question. « On voit l’impact de notre travail quand les nouvelles adhérentes ne viennent pas de notre entourage proche. »
Depuis l’année dernière, une exposition de photographes femmes, mettant en scène des femmes artistes et en coulisses a été créée. En 2020, elle sera exposée dans des lycées et des bibliothèques comme outil de médiation. L’année prochaine, Loud’Her organisera un parcours de workshops en non-mixité pour des musiciennes et des techniciennes. Une résidence d’artistes femmes sera également organisée en juin avec l’Aeronef de Lille (59).
Musiciennes & Co, représenté par sa co-fondatrice Muriel Thibault, est un collectif basé à Paris, fondé en 2015, qui a pour but de répondre à un déficit de représentations des femmes dans la musique et de rompre l’isolement de ces femmes en leur redonnant le pouvoir. Musiciennes&Co organise des workshops, des meet-ups, des scènes découvertes et prime l’accessibilité et la proximité. « Ce collectif est né d’une étincelle à un niveau personnel, presque intime de plusieurs personnes. Mais nous avons réussi à embarquer 300 personnes de notre réseau. » L’impact se mesure sur le nombre de personnes qui s’inscrivent aux workshops du collectif : « cette génération pionnière est déjà en train de faire bouger les choses. »
Musiciennes & Co va prochainement se structurer en association pour aller plus loin, avec des partenariats sur des événements, un annuaire d’artistes, etc.
FEMM (Femmes Engagées des Métiers de la Musique), représenté par sa co-fondatrice Stéphanie Fichard, est un collectif informel composé d’artistes, techniciennes, professionnelles du secteur, qui s’est créé suite à la publication de l’article « Sexisme dans la musique ; changez de disque, les machos » de Télérama. « L’idée est de se constituer en meute pour faire bouger les lignes. » Suite à cet article, un manifeste a été publié sur Télérama, et est aujourd’hui soutenu par 1900 personnes. « Mais cela n’a pas eu le retentissement souhaité, comme ce qu’on a pu voir dans le milieu du cinéma. Heureusement, des artistes comme Jeanne Added nous ont rejoint : ce sont elles qui ont le pouvoir de faire changer les choses grâce à leur visibilité. », a expliqué Stéphanie Fichard.
Pour la suite, FEMM a rédigé une charte pour que les professionnel.le.s s’engagent pour la parité et contre les violences sexistes et sexuelles, à la fois dans la programmation et les équipes de direction. FEMM veut également reprendre la parole médiatiquement « pour maintenir la pression ».
Barbi(e)turix, représenté par sa programmatrice et directrice artistique, Rag, est un collectif crée en 2004, composé de 15 bénévoles, qui a pour but de promouvoir la culture lesbienne et féministe avec un fanzine et des soirées mensuelles à Paris, Wet For Me. « Le collectif est né d’une envie commune d’un petit groupe de personnes de donner de la visibilité à des jeunes artistes femmes et/ou queer et d’offrir un espace safe pour notre public. », a-t-elle expliqué. « Evaluer notre impact est difficile, cela se fait sur du long-terme : on fait attention au nombre de personnes qui viennent à nos soirées et aux retours de nos articles sur notre site Internet. » Elle pointe également du doigt la manière dont les artistes femmes sont accueillies dans une salle où elles se produisent : « cela fait plusieurs années qu’on ne pas m’a demandé de sortir du booth de mix parce que le DJ allait arriver. »
Le collectif Barbi(e)turix a sorti le 04 octobre dernier une première compilation, qui met en avant des artistes femmes lesbiennes, queer et trans. « La presse a été intéressée par cette compilation : c’est positif, cela veut dire que cet acte politique a été entendu. »
Toutes ces initiatives, plus ou moins récentes, ont donc à coeur de lutter pour l’égalité Femmes-Hommes : mais on constate que pour leur grande majorité, elles ne seraient pas montées sans la motivation et la créativité des femmes qui ont intervenues et ont pris le sujet à bras le corps. Et surtout, la question du financement est récurrente chez toutes ces initiatives, qui sont bénévoles.
Vous pouvez écouter l’intégralité de cette conférence ici.
Manifesto XXI a également publié un compte-rendu des deux tables rondes, que vous pouvez découvrir ici.Retrouvez ici le compte rendu de « Les Femmes dans la Musique : Et maintenant, on fait quoi ? – Diagnostic & Ressources ».