Mobilisé pour les musiques actuelles : rencontre avec Franck Michaut du RIF

Comme vous le savez, nos #nufocus ont pour but est de mettre en lumière le formidable travail de personnes qui s’activent le plus souvent en coulisses, c’est pour cela que nous aimons les appeler ‘interviews d’intérêt public’. Et s’il y a un sujet d’inquiétude qui a trait à la chose publique depuis quelque temps maintenant, c’est bien l’impact sur les musiques actuelles de la baisse drastique des dotations de l’Etat aux collectivités. Depuis la fin de l’été, le RIF est régulièrement monté au créneau sur le sujet, notamment à Rock en Seine (mais pas seulement). C’est pourquoi il nous paraissait urgent et essentiel de donner la parole à Franck Michaut, le Directeur du RIF qui a eu la gentillesse de répondre à nos questions en détail. Afin que les artistes et musiciens prennent aussi conscience des personnes qui veillent au grain et qu’ils sachent où s’informer pour se mobiliser s’ils le souhaitent.

Peux-tu nous présenter le RIF et ce que tu y fais ?

Le RIF est la confédération des réseaux départementaux de musiques actuelles en Île-de-France. A partir des années 1990, les acteurs musiques actuelles en Ile-de-France (principalement des lieux de diffusion et de pratique dans un premier temps) ont décidé de se regrouper pour davantage travailler ensemble mais aussi pour « peser » un peu plus dans le dialogue avec des pouvoirs publics qui les ignoraient assez largement à l’époque. Des réseaux se sont ainsi créés dans les Yvelinesles Hauts de Seinele Val d’Oise… Et en 2001, les réseaux départementaux existants, conscients d’être sur des enjeux communs qui dépassaient les frontières départementales, ont décidé de créer le RIF, une plate-forme de coopération régionale, un réseau de réseaux en quelque sorte. 

Aujourd’hui, il existe un réseau dans les 8 départements d’Ile-de-France (y compris Paris, donc) qui ensemble regroupent plus de 220 structures très diverses : salles de concerts, studios de répétition et d’enregistrement, écoles de musique, festivals, tourneurs et producteurs indépendants, médias locaux… Bref, une grande diversité d’acteurs mais qui se retrouvent autour de valeurs liées à la solidarité, la coopération et d’une certaine vision de la musique au service de l’intérêt général.

Les réseaux départementaux sont au service de ces structures adhérentes mais plus largement des musiciens, des porteurs de projets publics ou privés, des usagers et publics… Bref ce sont des outils pour développer et structurer le paysage musical en Ile-de-France. Comme je le disais, les projets et missions de ces réseaux départementaux se recoupent bien souvent et c’est là qu’intervient le RIF pour permettre la mutualisation, la coopération, l’échange, la mise en place d’actions collectives. 

Concrètement cela nous amène à travailler autour de 5 pôles d’action :

– les ressources professionnelles : production et relais d’informations sur le secteur et son environnement, mise en place d’outils mutualisés, organisation de formations, de journées d’échanges et d’informations, de commissions réunissant certains types de métiers…

– l’aide au développement d’artistes : coordination des centres d’information et de ressources franciliens dédiés aux musiciens et porteurs de projets, portage d’Itinérances, dispositif d’aide à la circulation des groupes sur le territoire francilien…

– l’observation et l’analyse : réalisation régulières d’études et d’enquêtes sur la situation du secteur musical francilien

– gestion sonore et prévention des risques auditifs : travail d’information/sensibilisation/prévention auprès d’un public large (musiciens et professionnels, spectateurs mais aussi et surtout scolaires avec notamment le spectacle pédagogique Peace & Lobe dédiés aux collégiens et lycéens…)

– et enfin la représentation de tous ces acteurs musicaux, de leurs réalités, leurs attentes et leurs besoins auprès des partenaires institutionnels et professionnels, afin de pouvoir y apporter des réponses adaptées.

Nous sommes 4 salariés permanents au niveau du RIF (auquel il faut ajouter des chargés de missions ponctuels et bien sûr l’équipe artistique du spectacle Peace & Lobe) : Eva Navrot sur l’animation du réseau et la communication, Marion Blanchard Lagoeyte sur l’administration et l’observation, Emmanuel Bois sur la gestion sonore et donc moi sur les relations aux partenaires professionnels et institutionnels et plus généralement la coordination de l’ensemble. Mais en fait nos actions se développent de manière plus collective et sont le fruit de la coopération entre les salariés des réseaux départementaux, certains de leurs adhérents, d’autres réseaux ou organisations…

Les artistes ne sont pas toujours conscients de l’importance du rôle et de l’impact du RIF pour eux au quotidien. Peux-tu donner quelques exemples ?

Effectivement, c’est l’une des particularités de notre secteur : cette logique de structuration/fédération ne s’est pas faite initialement au niveau des artistes (contrairement à d’autres domaines du spectacle vivant, comme dans le théâtre ou la danse où les compagnies ont créé assez vite des réseaux/syndicats), mais plutôt des structures qui les accueillent et les accompagnent. Mais cela n’empêche pas les artistes d’être associés bien souvent à ces réseaux et surtout d’en être les premiers bénéficiaires d’une certaine manière. Une des premières motivations au moment de la constitution de ces réseaux c’était bien souvent de mieux coopérer ensemble pour l’accompagnement des artistes de leurs territoires, amateurs comme professionnels. 

Aujourd’hui, cela se décline par des dispositifs de repérage et d’accompagnement, des festivals dédiés aux groupes « locaux », le dispositif Itinérances, de la mise en visibilité sur différents supports, des formations et réunions d’information, des ressources diverses (qui seront d’ailleurs bientôt regroupées sur une plateforme web commune en cours de finalisation : www.infos-musiciens.org)… Bref, une bonne partie des projets développés par nos réseaux concernent directement les musiciens. 

De manière plus générale, il faut effectivement avoir conscience que le secteur musical forme une sorte d’écosystème (à l’équilibre fragile, d’ailleurs !) et que ses différentes composantes sont fortement interdépendantes : la situation des structures de diffusion et d’accompagnement a forcément un impact sur les équipes artistiques.

Le RIF a monté un programme de formations en partenariat avec l’IRMA : pourquoi était-ce important ?

Le point de départ c’était le constat que les adhérents de nos réseaux utilisaient assez peu les mécanismes de la formation professionnelle pour former leurs salariés. Pour diverses raisons, liées en partie à l’offre existante : des contenus pas toujours adaptés à leurs spécificités, des formations longues difficiles à assumer pour les petites structures avec très peu de salariés permanents, des coûts parfois prohibitifs, une centralisation de l’offre sur Paris pas toujours très accessible pour les structures et salariés de la grande couronne… 

Partant de là, et sans se substituer à l’offre déjà existante, on a souhaité essayer de lever un certain nombre de freins et de proposer un panel de modules spécifiques : des modules courts, accessibles financièrement, se déroulant sur tous les territoires, avec un contenu adapté aux attentes… Assez naturellement, on s’est tourné vers l’expertise et l’expérience en la matière de l’IRMA pour concevoir avec nous le contenu pédagogique et gérer le portage administratif. 

L’expérience de l’an passé a été globalement concluante et on renouvelle cette saison, avec des modules qui vont se concentrer sur le 1er semestre 2016. On finalise actuellement le contenu, les dates, les intervenants, les lieux et on fera partir une communication prochainement. Ce plan régional de formation est ouvert à tous même si les adhérents de nos réseaux bénéficient de conditions particulières. C’est très important pour nous d’avoir une démarche incitative et volontariste en matière de formation professionnelle car c’est un des facteurs clés du développement des acteurs et de la structuration de ce secteur d’activité.

Le RIF à récemment multiplié les prises de positions pour alerter les pouvoirs publics sur l’importance des musiques actuelles. Peux-tu nous en dire plus quant aux enjeux de la situation et les solutions / pistes que propose le RIF ? Comment Le RIF utilise-t-il la puissance d’internet pour amplifier ce message ?

Comme tout le monde a pu le remarquer, le secteur culturel est dans une situation de crise assez inédite. A la crise « économique » de ces dernières années, s’est ajoutée une crise des finances publiques en mode domino (l’Etat a décidé de baisser les dotations aux collectivités de 11 milliards de 2015 à 2017). On parle beaucoup depuis quelques mois des coupes dans les budgets culture de la part des villes, et les musiques actuelles sont loin d’être épargnés par ce triste mouvement. Bien au contraire même, puisque nous représentons une grande diversité d’initiatives qui, même s’il y a eu des avancées ces 20 dernières années, sont historiquement relativement peu soutenus par la puissance publique et donc particulièrement fragiles et vulnérables.

Concrètement, depuis 6 mois, plusieurs structures ont déjà disparu ou vu leur existence totalement bouleversée par des décisions souvent brutales d’élus locaux. C’est le cas par exemple des Zuluberlus à Colombes, de la Petite Entreprise à Marly-le-Roi, d’Universailles Musiques à Versailles, de la Luciole/MJC à Herblay… Mais au-delà de ces situations dramatiques et déjà médiatisées, on constate aujourd’hui bien d’autres cas compliqués, y compris pour certaines structures censées être plus les solides de nos réseaux. 

Ce sont ainsi des dizaines de structures qui sont fragilisées, par des baisses de subvention importantes mais aussi parfois de manière plus insidieuse par une volonté d’ingérence des élus dans la programmation, dans les artistes associés, etc. Les difficultés se sont concentrées dans un premier temps au niveau des villes (les premiers financeurs des acteurs musiques actuelles) sous le double effet de cette crise des finances publiques et de l’arrivée de nouveaux élus suite aux dernières élections municipales. Mais nous constatons aussi que les départements, pour partie, se désengagent progressivement du soutien à la culture, que les intercommunalités ne sont pas vraiment montés en puissance sur cet aspect, qu’il n’est quasiment pas question de culture dans les débats en cours sur le Grand Paris…

Bref, une forme de renoncement à l’idée que la culture est au cœur du projet de société, ce que nous ne pouvons accepter. D’autant que, si nous avons bien conscience des difficultés budgétaires de nombreuses collectivités, nous constatons aussi que ce contexte budgétaire est parfois un prétexte pour justifier une posture idéologique vis-à-vis de la culture, du monde associatif, de l’initiative citoyenne… 

Nous avons donc lancé un signal d’alerte, en lien notamment avec le Syndicat des Musiques Actuelles (mais aussi d’autres organisations culturelles ou associatives), intitulé « Le Son du silence ». L’enjeu est de sensibiliser les élus mais aussi les musiciens, les usagers et publics des lieux (qui bien souvent n’ont pas conscience de ce qui passe « en coulisses »), à ce qui est en train de se jouer actuellement. Et particulièrement de mettre en évidence que ce retrait d’une partie des collectivités va avoir des conséquences très graves et que ce n’est donc vraiment pas un bon calcul à moyen terme ! 

Des conséquences en matière de réponses sur les territoires à des attentes de plus en plus fortes de la population (apprendre, répéter, se former, découvrir des artistes sur scène…), en termes de diversité artistique (fragilisation d’un maillon essentiel pour la découverte, l’accompagnement, l’émergence des artistes), mais aussi en termes de lien social, en termes d’emploi et de développement économique… On a donc lancé une campagne médiatique lors de Rock en Seine mais on essaie aussi et surtout de travailler en profondeur avec les élus, notamment via leurs instances fédératives. 

Concernant internet et les réseaux sociaux, ce sont des outils majeurs bien sûr, que nous essayons d’utiliser autant que possible, dans leur potentiel viral comme dans la possibilité qu’ils offrent de rentrer directement en contact avec des élus ou des journalistes. Mais je dois avouer que – malgré vos excellentes formations ! – on a encore des progrès à faire pour exploiter au mieux ces outils dans ce genre de situations. Plus d’infos : http://www.lerif.org/actualites/mobilisation-le-son-du-silence-534

Si tu devais rajouter une chose de plus, que dirais-tu ?

On peut malheureusement craindre que la situation difficile que l’on vit actuellement s’installe dans la durée. Depuis plus de 30 ans, notre secteur (ou en tout cas la partie que nous représentons) a su faire face collectivement à bien des difficultés. Mais aujourd’hui on sent parfois une forme de résignation, voire de repli sur soi. C’est pourtant le moment où jamais de montrer, tous ensemble et au-delà des chapelles parfois clivantes, notre capacité de mobilisation, de solidarité et d’innovation… Donc, voilà, si j’avais un dernier mot à dire ce serait un message de mobilisation !

A ce sujet, l’Ufisc (confédération dont le RIF est membre) organise un temps fort mardi 4 novembre après-midi au Centre FGO-Barbara pour partager constats et propositions dans ce contexte bien difficile : « La culture est un droit, la solidarité une responsabilité commune ». Courez-y !

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