Plongée au cœur de l’archipel créatif de Clotilde : découvertes et horizons infinis

© Cecil Mathieu

Clotilde est une artiste foisonnante, au cœur d’un archipel créatif merveilleux. Elle mène de front autant de projets (Tzig’Art, XXY, Madeleine & Salomon, Pieces of a Song, Djafolo, Amnesiac 4tet…) qu’elle porte de casquettes (compositrice, chanteuse, musicienne, réalisatrice, directrice artistique, pédagogue…).
Nous avons commencé à travailler avec elle en 2021 sur sa stratégie et son community management, l’accompagnant tout au long de son actualité intense. Cet interview était donc l’occasion rêvée de partager avec vous la richesse et la profondeur de son expression artistique dont nous-mêmes en avons encore découvert des recoins inexplorés. On voyage, on vibre, on sent la passion et le cœur qu’elle infuse dans ses œuvres : à lire (et découvrir) absolument !

Peux-tu présenter ton parcours et tes différentes activités aujourd’hui ?

Je viens de la musique. J’ai commencé le conservatoire en flûte traversière à l’âge de 5 ans. J’ai eu la chance d’avoir des parents mélomanes très favorables à la pratique artistique et qui ont su profiter du réseau des conservatoires et MJC (Maisons des Jeunes et de la Culture) pour pouvoir répondre à mon désir de pratique artistique. Ainsi j’ai pu faire de la danse et du théâtre en parallèle de la musique jusqu’à la fin de mon adolescence. Après j’ai suivi des études supérieures un peu pour rassurer mes parents, tout en réalisant mes premières créations et en continuant d’explorer la voix comme instrument protéiforme aux possibilités infinies et de découvrir les pratiques artistiques d’autres cultures (Balkanique, Irlandaise, Libanaise, Manouche, Russe, Tzigane, Afro-américaine et américaine) à travers de profondes rencontres humaines qui ont conduit à des créations artistiques et à des amitiés toujours vivantes aujourd’hui.
Aujourd’hui je suis toujours musicienne tout en renouant ces dernières années avec une dimension plus interdisciplinaire de ma pratique artistique via la réalisation et le montage de courts métrages, la direction artistique et l’écriture de spectacles interdisciplinaires.

En décembre dernier, tu as présenté la première de XXY, un spectacle interdisciplinaire au Théâtre de Vanves. Peux-tu nous présenter plus en détail cette œuvre ?

C’est le deuxième volet d’un diptyque, réflexion sur le Féminin. C’est en faisant le constat lors d’une exposition de la photographe du début du 20eme siècle, Florence Henri au Jeu de Paume, de l’immobilisme du costume de l’homme occidental depuis 200 ans qu’il m’a paru important de questionner la part du Féminin, du mystère chez l’homme occidental, et de son expression. Qu’est-ce qu’un homme vulnérable, un homme sensible, un homme accueillant ? Comment (ré)concilier virilité et vulnérabilité dans le corps de l’homme ?
Pour arriver à la conclusion, selon moi, que c’est le mouvement pendulaire perpétuel entre le Féminin et le Masculin, deux extrêmes d’une même polarité, qui en permet la réconciliation à l’intérieur de nous-mêmes et par ricochet entre les individus d’une même société.

Pour moi, il s’agit d’une poésie polyphonique où les ombres, la musique, le mouvement et les images sont les vecteurs du sens. Les mouvements des corps virils et bruts de cinq danseurs dessinent l’expérience de la fluidité, la possible incarnation du Féminin dans le corps de l’homme. Leur correspondent les images projetées de femmes dansant leur Féminin et leur Masculin. En miroir, cinq musicien.ne.s au plateau battent les pulsations et les vibrations d’une transe poétique, musique expérimentale et improvisée qui appelle vers un ailleurs. Toutes ces formes sonores et corporelles évoluent dans le contexte immersif de jeux d’ombres qui brouillent les lignes.
J’ai tenu à suivre un procédé créatif qui me tient à cœur que j’aime appeler « synchronicités hasardeuses » et qui pour moi est la garantie d’une véritable interdisciplinarité dans la mesure où les différentes disciplines artistiques s’expriment indépendamment en simultanéité et se rencontrent au gré d’accidents préparés. Infusées du même propos, ici les attributs conventionnels du Féminin et du Masculin, mais indépendantes dans leur cheminement créatif, elles s’élèvent l’une l’autre à une vibration qu’elles n’auraient pu atteindre séparément, évitant ainsi l’écueil de l’illustration.

La pièce XXY s’inscrit dans le prolongement de ta réflexion sur le Féminin entamée avec le moyen-métrage XXY [ɛks/Ɛks/Wʌɪ], que tu as réalisé en 2018. Pourquoi avoir choisi ces média pour aborder ce sujet si contemporain ?

Le film est sorti en 2018 mais en réalité j’ai commencé à travailler dessus en 2014. Je me souviens d’un jour de cette année-là où en lisant le journal, je me suis demandé pourquoi le Féminin pleurait toujours autant partout dans le monde, pourquoi alors que la question du Genre émerge dans les sphères du politique, du sociétal et du religieux, trop de femmes dans le monde font encore l’objet de l’oppression et de l’objectivation la plus totale et que beaucoup d’hommes peinent à trouver un espace apaisé d’expression de leur Féminin. C’est de ce contexte qu’a surgi une urgence de raconter le Féminin à travers mes yeux de femme artiste de son temps, une urgence d’appréhender l’énigme du Féminin.

Commence alors un travail de recherche et de compilation sur les grandes Femmes qui ont jalonné l’histoire de l’humanité et sur les figures féminines que l’on retrouve dans les mythes, mythologies, contes et romans de l’humanité.
En confrontant ces archétypes avec ma vision et mon expérience en tant que femme artiste du 21ème siècle, j’ai imaginé sept portraits, sept tableaux vivants. Chaque portrait est illustré par un film et une musique originale. Au centre de chaque film, la danse incarnant le Féminin et au centre de chaque musique, la voix chantant ce Féminin.
Prénommées RhéaRubyJulietteMagdaHannah et Enk’aï, elles incarnent la Nature, l’enfant, la travailleuse, la mère, l’inspiratrice ou la guerrière, héroïnes célèbres ou anonymes. Elles s’inscrivent dans un temps à la fois linéaire, celui d’une vie, et cyclique, celui de la création, et dessinent une contemporanéité autant poétique que politique, autant sociale que culturelle, autant onirique que réelle.

Au printemps 2022, Madeleine & Salomon, ton duo avec Alexandre Saada, sortira un nouvel album. Comment avez-vous travaillé sur ce nouveau répertoire ?

En 2018 nous sommes revenus en Australie pour une tournée. A l’époque on réfléchissait à un nouvel album. Nous avions envie d’un répertoire qui s’inscrive dans une démarche artistique porteuse de sens comme pour l’hommage aux femmes américaines engagées de notre premier album. Et une après-midi off à Melbourne, nous sommes allés à la National Gallery où nous avons découvert l’œuvre du plasticien d’origine marocaine Hassan Hajjaj dont les portraits évoquent tout à la fois Andy Wharol et Seydou Kaïta. Ses créations sont venues faire écho à nos discussions sur une culture chère à nos cœurs, celle du bassin méditerranéen. Alexandre est fils d’exilés. La musique du proche orient et des pays méditerranéens a irrigué son parcours musical. D’un séjour de plusieurs mois en mission humanitaire au Liban au moment de l’ouverture de la frontière sud, j’ai conservé un attachement profond pour les musiques de cette région et un lien intime avec ce pays singulier en termes de pluralisme notamment religieux.
Les florissantes années 60/70 dans cette partie du monde sont marquées par une création foisonnante et libertaire, riche de métissage. Et si il est de notoriété publique que bon nombre de groupes occidentaux empruntèrent à cette époque des sonorités orientales pour épicer leurs compositions, il est peut-être moins présent à nos esprits qu’au même moment dans les pays méditerranéens, dans un contexte politique contestataire, synonyme d’avancées sociales, d’éducation et d’émancipation de la femme, les musicien.e.s ont pioché dans les codes et les sonorités de la musique occidentale à la mode (rock, folk, psyché) des saveurs nouvelles à incorporer à leur musique en un mélange unique et passionnant. C’est aussi une époque où les chanteur.euse.s de ces pays, mélangent avec délice au sein de la même chanson, paroles dans leur langue natale et paroles en anglais ou en français.
On a eu envie de revisiter avec notre esthétique minimaliste cette pop-folk des années 60/70 du monde méditerranéen. A partir de là, a commencé un gros travail de recherche des morceaux en allant demander des conseils d’écoute aux ami.e.s musicien.ne.s de ces régions. Je crois que la playlist de notre première sélection comptait environ 200 titres ! Au final on en a conservé une quinzaine pour l’instant. 15 qui nous touchent particulièrement : mélodiquement, harmoniquement ou rythmiquement et que nous avons pu nous approprier assez pour que notre relecture fasse sens et ne soit pas un copier-coller de l’original et que ça sonne en duo piano-voix. On vient de finir en décembre une première semaine de résidence de création au Comptoir à Fontenay-sous-Bois, semaine qui s’est clôturée par un concert. Aux vues des retours extrêmement positifs du public, on a hâte de démarrer la deuxième semaine de résidence à Sète cette fois en partenariat avec le conservatoire et Jazz à Sète pour peaufiner tout ça avant de rentrer en studio fin février !

En plus de ces deux projets actuels, portés par ta structure Tzig’Art, tu collabores en même temps avec d’autres artistes de différents horizons sur des projets issus de différentes disciplines. Comment guides-tu tes choix en matière de création ?

C’est avant tout la rencontre humaine qui va décider d’une collaboration. Il y a la rencontre, le partage, la compatibilité des points de vue et des processus de création, l’appartenance à une famille artistique et de tout cela surgit l’envie de co-créer. En résumé je ne crée jamais avec des inconnu.e.s ! haha. L’Amitié est un facteur déterminant. A partir de là, la question de la discipline artistique ne se pose plus à mes yeux. C’est un médium, un vecteur qui a certes ses spécificités et contingences dont il faut tenir compte, et que l’Autre est à même de m’expliquer ou de me rappeler. C’est aussi l’opportunité de déplacer mon regard, de regarder les choses sous un autre angle induit par cet autre art. En revanche ce n’est pas à mes yeux, la fin en soi de la coopération artistique. Ce qui compte c’est ce que nous voulons raconter ensemble. Il me semble que la forme devient très explicite quand le fond est évident.

En 2021, tu nous as contactées pour t’accompagner sur la stratégie digitale de tes projets et le community management. Quels sont les enjeux de ta communication et de ton positionnement sur le numérique et pourquoi avoir voulu travailler sur ces points spécifiquement ?

J’ai longtemps été un peu réfractaire aux réseaux sociaux, n’y voyant que la partie chronophage et superficielle. Et puis j’ai commencé à me rendre compte que la diversité des créations que je portais (albums, films, spectacles) générait un manque de lisibilité et une faible visibilité. En échangeant sur le sujet avec des amis il m’est apparu qu’une meilleure maitrise et une meilleure gestion des réseaux sociaux pouvaient potentiellement répondre à cette question. Et effectivement j’ai découvert que bien accompagnée, il m’était possible via les réseaux sociaux, de partager du contenu qualitatif avec des publics intéressés de le recevoir.

La question COVID-19 : selon toi, quels sont les enjeux auxquels doit faire face le secteur culturel à ce jour ?

A court terme, il y a selon moi, la question de la saturation des programmations liées au reports jusqu’à fin 2022, du retour du public en salle, du départ des grandes villes d’une partie du public intéressé par la scène indépendante, émergente et expérimentale.
A plus long terme, est-ce que cet épisode Covid aura profondément changé les façons d’accéder à la culture et les modes de création ? Est-ce qu’on va vers un glissement du spectacle vivant vers le spectacle virtuellement vivant dans le métaverse ? Est-ce qu’on va vers l’éclatement des pratiques en 2 « mondes » d’un côté des petites scènes indépendantes et défricheuses, possiblement itinérantes, respectueuses de l’environnement et de l’autre le monde virtuel ?
En tous cas cela va demander d’adapter nos pratiques créatives à ces changements en espérant qu’ils soient viables économiquement. Ce serait assez catastrophique pour la scène indépendante qu’il se passe la même chose avec le spectacle vivant qu’il s’est passé avec le streaming, à savoir la transformation en une économie non viable lors du passage à la dématérialisation.

Des actus à annoncer pour cette année 2022 ?

Cette année 2022 s’annonce passionnante !
• L’enregistrement et la sortie au printemps du deuxième album de Madeleine & Salomon : Eastern spring avec de beaux concerts en vue
• La finalisation (tant reportée) de Pieces of a song, répertoire de compositions inspirées des poèmes de la poétesse de la Beat Generation Diane di Prima, avec le clavieriste New-Yorkais Chris McCarthy. J’ai tellement hâte de retourner à NYC après 2ans, alors que j’y allais au moins 4 mois par an avant la pandémie.
• La reprise de XXY
• La collaboration sur la nouvelle création du danseur et chorégraphe Gille Viandier.
• La sortie à l’automne de l’album de l’Amnesiac 4tet de Sébastien Paindestre autour de chansons de Radiohead.
• Des moments de partage au plus proche des publics via des actions culturelles et pédagogiques
• La poursuite de collaborations et créations avec des musicien.ne.s Burkinabé au Burkina

Un dernier mot pour la fin ?

Puisque je suis au Burkina en ce moment, un adage Burkinabé que j’aime beaucoup et qui me semble de circonstance : « La durée de la nuit ne peut jamais empêcher le jour de paraître. »

Vous pouvez suivre l’actualité de :
– Clotilde sur son site InternetFacebookInstagramTwitterYouTube et TikTok
– Madeleine & Salomon sur Facebook & YouTube
– Tzig’Art sur le site InternetFacebook & LinkedIn

Partager :

Vous aimerez aussi