Transmission est le mot qui pourrait décrire Benjamin Hamon et son travail. Avec la création de Pocket Lyrique, la compagnie « d’opéras de poche » résolument contemporains, ce compositeur s’attache à transmettre son univers moderne et poétique d’abord aux artistes avec lesquel.le.s il travaille, puis au public qui assiste aux représentations. Transmission également avec les actions culturelles menées depuis près de 15 ans dans des écoles : Benjamin Hamon travaille avec des élèves pour monter des mini-opéras sur des thématiques d’actualités. Transmission aussi, avec le travail que nous effectuons avec lui depuis 2018 : ensemble, nous avons défini la stratégie de communication numérique de la compagnie pour développer la portée de ses messages sur un autre format. Et transmission enfin, avec cette interview : il nous parle de son parcours, de ses créations, de communication numérique et partage son amour de la musique.
Peux-tu présenter Pocket Lyrique et ton parcours ?
Pocket Lyrique est une compagnie lyrique que j’ai créée en 2002. C’est une association qui produit des opéras de petite forme, des « pocket opéra » ou « opéra de poche ».
J’ai commencé la musique par la guitare et très vite j’écrivais mes propres chansons. À la fin de mes études musicales j’ai eu une drôle d’intuition : il fallait que j’écrive un opéra !
Curieusement, mon premier opéra, « Le Terrain Vague » a été créé en Californie à Santa Cruz en juin 2004 dans le cadre d’un festival de musique électronique qui s’appelait « Electron Salon ». À l’époque, j’étais confronté à des difficultés pour produire « Le Terrain Vague » en France. Véronique Larcher que j’avais rencontrée à L’Ircam était partie travailler à Santa Cruz en Californie et avait créé là-bas un festival de musique électronique « Electron Salon » qui connaissait un certain succès. Elle m’a proposé de venir monter l’opéra à Santa Cruz en Californie ! Ce fut une très belle expérience. J’ai travaillé avec des chanteurs américains qui ont tous fait l’effort de chanter en français ! Une troupe de danseurs a travaillé avec nous pour assurer la figuration sous la direction de Franck Mas. Youssef Tabti, un artiste plasticien a réalisé la scénographie et ses vidéos étaient projetées sur un immense écran. La musique du spectacle était un mélange d’orchestre virtuel, de synthé et de sons d’ambiance. Bref, pendant les 15 jours de la préparation du spectacle, il y avait là-bas un bouillonnement typiquement américain. Le public a aimé le spectacle et les critiques furent bonnes.
Après cette expérience et de retour à Paris j’ai pu produire et diffuser « Le Terrain Vague » en France. Il a été créé au théâtre du Rond-Point en juin 2005 puis au théâtre du Lucernaire. La compagnie Pocket Lyrique était lancée !
Pocket Lyrique est une compagnie qui se destine à créer des œuvres lyriques indépendantes, des opéras nouveaux. Peux-tu nous en dire plus sur ta démarche ?
J’ai été influencé par le cinéma d’auteur indépendant des années soixante et soixante-dix. Quand j’ai vu les premiers Godard ou le cinéma de Cassavetes, je me suis dit que je pouvais faire pareil avec de l’opéra : dire ce que l’on a à dire avec des moyens limités. Ce qui nous pousse à aller à l’essentiel et à faire des tentatives artistiques qu’on ne pourrait pas faire avec des productions plus conventionnelles.
Quand il y a un sujet qui m’intéresse ou que j’ai quelque chose à dire dessus, j’écris un opéra, c’est-à-dire une histoire chantée en musique. J’apporte le matériau, livret et partition aux différents artistes, chanteurs, musiciens, metteur en scène, scénographe, etc. qui s’investissent sur le projet afin de présenter un spectacle au public. Même si ce sont des opéras de poche, on est au minimum une équipe de 15 personnes, artistes et techniciens. C’est beaucoup mais comparé aux opéras de Puccini, Verdi ou Wagner qui demandent des centaines de personnes, c’est très peu. Le budget d’une production Pocket Lyrique tourne autour de 150 000 euros. Comparé à une production de l’opéra Bastille c’est à peine le budget maquillage !
Les créations de Pocket Lyrique sont résolument contemporaines, que ce soit par rapport à la composition en elle-même ou aux thèmes traités. En quoi la musique contemporaine est-elle universelle ?
En France, il y a environ une quinzaine d’opéras contemporains qui se créent par an. Nous sommes à peine plus d’une dizaine de compagnies lyriques professionnelles. Ce n’est pas beaucoup, et pourtant ça existe. Nous œuvrons néanmoins par notre présence et nos actions à démocratiser l’opéra. Ce qui est universel, c’est la musique !
Depuis sa création, Pocket Lyrique mène de nombreuses actions vers les publics, notamment envers les plus jeunes, avec des actions dans les établissements scolaires. Quels sont les projets en cours ?
Là encore ce sont des rencontres… Au théâtre du Rond-point lors de la création de l’opéra « Le Terrain Vague » en 2005, un professeure de sciences économiques, Florence Aulanier qui assistait à la représentation, nous a invités dans sa classe au lycée Cassini à Clermont de l’Oise, pour qu’on présente cet opéra à ses élèves. Un de ces thèmes de cet opéra était l’exclusion et la frontière ténue qui existe entre les exclus et ceux qui sont socialement intégrés. Cette première expérience de médiation fut tellement enrichissante pour nous tous que nous avons poursuivi les sensibilisations à l’opéra en impliquant de plus en plus les élèves dans un processus de création de textes et de chant. Année après année, des projets d’interventions de plus en plus complexes ont vu le jour. La compagnie s’est implantée en Hauts-de-France en 2007 et nos productions démarrent là-bas en général.
Les élèves ont très peu entendu parler de l’opéra et n’en ont souvent jamais vu. Florence m’a dit qu’un élève ayant participé à l’un de nos projets l’a interpellée un jour en lui disant : « L’opéra Madame, c’est cool ! »
Cette année, nous intervenons dans 4 lycées différents en Hauts-de-France. Je travaille avec Izabelle Chaloub qui est chanteuse et comédienne. Nous préparons un spectacle avec des lycéens, à partir des écrits qu’il ont produits, sur la thématique de la discrimination. Les lycéens présentent le spectacle qui se compose de chant choral et de scènes jouées à un public d’élèves, de professeurs, de parents d’élèves ou de personnes âgées.
Ta dernière création, « Espace Fluide », est un opéra de science-fiction, autour de l’univers de la médecine. Peux-tu nous en dire plus ?
« Espace fluide » est un opéra de science-fiction pour 6 chanteurs, dix musiciens tous sonorisés et un système de son et vidéo en temps réel. J’ai mis 6 ans pour l’écrire, 2 ans pour le livret et 4 ans pour la musique !
Le sujet me vient d’une expérience personnelle de N.D.E. (Near Death Experience) que j’ai eu il y a des années. J’en ai jamais parlé pour ne pas être pris pour un illuminé, mais elle est restée très vivace en moi, c’était une expérience bizarre, profonde. J’ai commencé à me documenter là-dessus. Des scientifiques s’intéressent à ces phénomènes et tentent de les expliquer. C’est assez déroutant d’écouter des « témoins » qui ont vécu une N.D.E. parler de leur expérience. J’ai écrit une histoire sur ce sujet, un médecin qui essaie de créer en laboratoire une N.D.E. pour ses patients en fin de vie, afin de les soulager de la profonde angoisse de quitter ce monde prochainement.
J’ai été aidé sur le récit par un auteur et grand pédagogue, Yves Lavandier. Son aide m’a permis d’écrire une histoire bien structurée, avec du rythme, du suspense. Il y a quelque chose comme une spiritualité laïque qui se dégage de ce récit, l’au-delà, la grâce est approchée par des médecins, des soignants attachés à leur expérimentation scientifique.
Depuis 2018, Pocket Lyrique est en DLA avec nüagency, pour une formation sur la stratégie digitale et le community management. En quoi ces sujets t’ont semblé importants pour ta compagnie ?
J’ai rencontré Emily lors d’une formation à l’Irma sur Youtube. J’ai aimé la générosité de son enseignement, sa passion pour la musique et les artistes, et sa connaissance très pointue et toujours actualisée de la communication numérique. Son livre, l’Artiste, le Numérique et la Musique a été mon livre de chevet pendant un moment, c’est avec ce livre que j’ai compris l’importance de bien maîtriser ces différents outils.
Aujourd’hui, il y a comme un communisme des moyens de communication, tout le monde possède les mêmes outils, site internet, newsletters et médias sociaux. Pourtant, la communication par ces outils reste quelque chose de très délicat à faire. Il faut déjà maîtriser l’interface et après trouver sa propre manière de communiquer.
Emily a accepté de m’aider à bien positionner Pocket Lyrique dans le domaine de la communication numérique et depuis nous avançons pas à pas ! Nous avons envoyé notre première newsletter avec Clara il y a deux semaines. Je me suis rendu compte par les retours des fans de l’attente qu’il y avait à recevoir des nouvelles de la compagnie. Par ces outils, on peut vraiment créer un espace d’information et de communication privilégié avec ses fans.
La compagnie a été créée en 2002 : quels sont les changements que tu as pu percevoir dans le secteur lyrique avec l’évolution du numérique et son omniprésence aujourd’hui ?
L’avènement du numérique a créé dans le domaine lyrique des projets tout à fait originaux ; la diffusion des opéras dans le monde est plus large. La pédagogie de la musique classique et de l’opéra se renouvelle aussi, je pense à toutes les applications développées sur les tablettes et les iPhones.
Ce qui est passionnant dans cette ébullition, c’est de voir les mondes cohabiter et se nourrir mutuellement, le numérique n’absorbe pas tout, au contraire il permet à l’opéra vieux de quelques siècles de retrouver une nouvelle jeunesse et de renouveler son public.
Pocket Lyrique, c’est également un label, nouvellement crée : quelles sont tes ambitions avec cette nouvelle structure ?
Ce qui me motive dans la création du label, c’est d’enregistrer mes opéras en version studio ; ce que je n’ai jamais eu le temps de faire. Enregistrer en studio, c’est aussi expérimenter les différentes techniques de transformation du timbre des voix, des instruments et d’utiliser le mixage comme on le fait dans les musiques actuelles.Dans mon dernier opéra, « Espace Fluide », l’un des personnages est un robot. Je suis en train de tester différents moyens de rendre sa voix lyrique la plus intéressante possible.
Dans ce label, je souhaite initier une partie recherche. L’objectif est de répertorier tous les outils et les techniques de transformation des voix lyriques : voix de synthèse, voix transformées par module de synthèse etc. et de lancer des projets intégrant ces techniques.
Un dernier mot pour la fin ?
Une profonde gratitude à tous ceux qui participent à cette aventure et la rendent possible !
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