Le moment est venu de parler de Facebook.
Nous avons écrit cette tribune il y a déjà trois semaines. Mais nous avons privilégié le temps de la réflexion, face à l’ampleur du problème.
En tant qu’agence de communication digitale, nous savons utiliser et optimiser les réseaux sociaux, qui ont déployé des fonctionnalités pratiques et accessibles, pour qu’ils servent des stratégies d’artistes ou de structures culturelles.
Seulement aujourd’hui, nous sommes face à un vrai cas de conscience : il devient difficile, voire impossible, de dissocier l’outil de ce à quoi il participe, et plus concrètement de faire la part entre Facebook et les non-choix politiques de son créateur.
Avec l’amplification du mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis et un peu partout dans le monde, ce sujet est devenu encore plus central. De très grandes marques (Patagonia, Coca-Cola, Unilever, Ben&Jerry’s, etc.), des agences de communication et des labels indépendants britanniques ont pris la mesure du problème et ont adhéré à la campagne #StopHateForProfit. Pendant le mois de juillet, et pour certaines jusqu’à la fin de l’année 2020, ces entreprises ont annoncé qu’elles ne dépenseraient aucun budget publicitaire sur les plateformes de Facebook.
A notre niveau, en tant qu’agence de communication digitale spécialisée dans la culture, nous prenons part publiquement à cette campagne parce qu’elle nous permet enfin d’agir efficacement et d’affirmer nos valeurs sur un sujet qui nous tient à cœur.
Parce qu’en utilisant quotidiennement les applications de Facebook, nous participons et cautionnons indirectement, à des idéologies que l’on peut qualifier, sans doute, de mortifères. Parce que Facebook interdit, au nom de sa politique de modération, la publication des œuvres d’art, parce que Facebook utilise, sans consentement, les données des utilisateur.ice.s à des fins d’expérimentation scientifique, parce que via son ciblage publicitaire, Facebook favorise la discrimination à l’emploi, parce que les modérateur.ice.s sous-traité.e.s par Facebook travaillent dans des conditions psychologiques inhumaines, parce que les contenus militants sont invisibilisés voire supprimés, parce que le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, depuis la création même de sa plateforme et à chaque nouveau scandale, ne sait pas faire autre chose que dire qu’il est désolé… Cette liste n’est malheureusement pas exhaustive : il y aurait encore toute une histoire à raconter sur comment cet outil s’articule autour de contextes nationaux particuliers.
Aujourd’hui, nous avons largement dépassé le stade de petits accrocs pour atteindre celui d’une entreprise privée qui s’arroge des droits qui détruisent ceux d’Etats légitimes : les outils de Facebook sont utilisés par des dictateurs pour perpétrer des génocides contre une partie de leur population comme en Birmanie, pour corrompre des élections (aux Etats-Unis ou pour le référendum du Brexit), inciter à la haine, censurer des premiè.re.s ministres… Mark Zuckerberg a créé et façonné un Etat digital dont les CGU font office de constitution et souhaite désormais parfaire sa création en mettant en place sa propre « Cour Suprême » pour statuer sur ce qui est moral ou non de publier.
Nous sommes arrivé.e.s à un stade particulièrement dangereux et alarmant où Mark Zuckerberg estime que le président des Etats-Unis, Donald Trump, a le droit d’exprimer des propos inadmissibles incitant à la haine sur sa plateforme, en invoquant le sacro-saint premier amendement de la Constitution des Etats-Unis. Etrange paradoxe que celui de l’un des hommes les plus riches et puissants de la planète qui se cache derrière la constitution d’un Etat dont il est citoyen mais dont l’entreprise ne cesse de vouloir s’affranchir. Tragique paradoxe supplémentaire qu’un Etat digital se proclamant supranational décide de façonner sa loi et sa constitution sur celle d’un pays précis, que les 194 autres Nations sur terre doivent subir. Pourtant Facebook est utilisé par 2,5 milliards d’individus et la moitié des TPE-PME française l’utilisent quotidiennement. Tout de même
Comment réagir ? Comment faire face à une plateforme qui a imposé un monopole d’usage, qui nous a enfermé.s. dans son écosystème, à tel point que si l’on souhaite en partir (et nous y avons pensé plusieurs fois…), le coût individuel est trop important et disproportionné pour soi, sans avoir le moindre effet sur Facebook ? Comment réagir face à ses dirigeant.e.s qui n’assument pas leur responsabilité et font porter aux utilisateur.ice.s le poids d’une décision individuelle et des conséquences d’un ostracisme social ? En quittant Facebook, nous nous punissons individuellement alors que nous n’avons rien gagné sur notre vie privée, rien gagné sur nos économies (les statistiques de publicité ne sont pas pertinentes, et rien gagné sur le front des libertés individuelles puisque l’outil est utilisé contre et au niveau social et que son algorithme favorise le biais de confirmation et les bulles filtrantes.
Et en tant qu’agence digitale, c’est le même problème. Notre métier consiste à faire de la veille sur ces outils, et nous savons tout ça. Et nous relayons déjà régulièrement des articles sur le sujet dans ce cadre. Ce qui ne fait que renforcer notre dilemme. Facebook a mis en place une relation toxique et totalitaire avec ses utilisateur.ice.s : si nous quittons la plateforme en supprimant nos comptes Facebook personnels et notre page agence, nous perdons le moyen de faire notre travail pour nos client.e.s et la crédibilité de notre expertise. Pire encore, nous acceptons ce deal truqué que propose la plateforme, qui nous impose tout le poids des conséquences d’une décision sur laquelle nous n’avons aucune prise. Si l’outil doit évoluer, ce n’est pas le départ d’un compte qui changera quoi que ce soit, mais le boycott massif à l’échelle planétaire de l’ensemble de ses utilisateurs.
A ce sujet, parlons de celles et ceux avec lesquels nous travaillons au quotidien : artistes, producteurs de spectacles, labels, salles, festivals, producteurs de films etc… Tou.te.s ont été obligé.e.s d’accepter ce marché de dupes pour survivre, persuadé.e.s que Facebook est la planche de salut d’un besoin de visibilité toujours plus important pour développer leur projet. Ce n’est pas un Syndrome de Stockholm mais bien le rapt de notre liberté et de notre libre arbitre qui est à l’œuvre. Remarquons que pour des outils considérés comme aussi incontournables pour les artistes, Facebook n’a rien déployé de notable pour les artistes et acteurs de la culture, qui se sont retrouvés encore plus précarisés que d’habitude en pleine crise sanitaire. A part (roulements de tambour) …une page qui recense les livestreams. Au regard des moyens considérables de la plateforme qui se dit soucieuse de donner de la visibilité aux entreprises et artistes, c’est un peu court. Quand on sait que 99,5% du chiffre d’affaires de Facebook vient de la publicité, comment peut-il y avoir de la place pour de l’éthique et de la solidarité quand pousser au crime est la seule voie vers la croissance ?
C’est pourquoi la campagne #StopHateForProfit est si importante. Elle produit ses premiers effets. Suite aux retraits de certains des plus gros annonceurs de la planète, pour un montant cumulé déjà estimé à 755 millions de dollars, Mark Zuckerberg vient d’annoncer que Facebook allait signaler et labelliser (et non supprimer) les contenus haineux prononcés par des personnalités politiques. C’est un premier pas, mais il n’est pas suffisant. Il faut accentuer la pression.
Nous devons prendre position. Au regard de tout ceci, nous dissuadons systématiquement les personnes qui font appel à nos services de recourir aveuglément aux outils de Facebook et leur recommandons fortement de multiplier d’autres canaux de de communication directe. Mais nous devons aller plus loin. Cette réflexion ne peut néanmoins pas se conduire seule et doit inclure toute la profession. Elle doit aussi s’étendre à toutes les plateformes (les autres applications de Facebook que sont Instagram, WhatsApp, mais aussi Twitter, LinkedIn, Tik Tok, Snapchat…). C’est un travail titanesque et incertain qui demandera la volonté ferme et continue de plusieurs acteurs de la profession.
C’est pourquoi nüagency s’engage à ne dépenser aucun budget publicitaire sur Facebook, et ce pour une durée indéterminée. Nous encourageons également tou.te.s les artistes, labels, producteur.ice.s, éditeur.ice.s français.e.s indépendant.e.s à rejoindre la démarche et à se mettre en relation avec la campagne #StopHateForProfit.
Enfin, à notre niveau, nous avons décidé d’amorcer ce travail en proposant aux artistes et structures culturelles qui veulent commencer cette réflexion un quizz rapide pour évaluer leur dépendance à Facebook. D’autres actions suivront.
D’ici là, et pour aller plus loin, voici nos quelques recommandations :
Si vous pouvez quitter Facebook : bravo.
Si vous le ne pouvez pas :
☞ A titre personnel :
– Ne postez pas de photos de vos enfants si vous en avez, et/ou ne postez pas des photos de vous-même lorsque vous étiez enfant
– Ne publiez pas des informations personnelles sur votre compte (cursus scolaire, lieu de naissance et de résidence, poste et entreprise, numéro de téléphone, croyances religieuses, ou opinions politiques…)
– N’utilisez que le pouce en l’air pour réagir (et pas les autres types de réactions)
– Privilégiez le site facebook.com sur votre téléphone, plutôt que l’application mobile
– N’activez jamais la géolocalisation de l’application mobile, et coupez les notifications sur votre téléphone mobile
☞ Si vous êtes artiste ou travaillez dans la culture :
– Diagnostiquez votre dépendance à Facebook avec notre quizz
– Diversifiez vos canaux de communication directe avec vos fans (site Internet, newsletter, sms, etc.)
– Si vous souhaitez tout de même faire de la publicité, réduisez le plus possible vos budgets publicitaires et attendez qu’une publication marche déjà bien avant de la booster
Si vous voulez découvrir et soutenir des organisations impliquées sur ce sujet (parce que ce combat ne pourra être mené qu’à grande échelle) :
– Stop Hate For Profit
– Noyb.eu
– Framasoft.org
– Nothing2Hide
– Check My Ads
– The Sleeping Giants
– Bettertech.blog
Enfin, si vous souhaitez intégrer notre groupe de travail sur le sujet, contactez-nous : contact@nuagency.fr