Vesna-Mirabeau : rencontre avec Myriam Eddaïra du Studio d’IKKEN

En septembre dernier, Myriam Eddaïra, femme multi-casquettes de la musique, nous contactait pour nous parler de son nouveau projet. Objectif : mettre en ligne et en vente une reprise avec des artistes français d’une chanson du groupe ukrainien Okean Elzy, pour que tous les bénéfices soient reversés au programme d’aide à l’Ukraine de l’UNICEF. Elle nous a sollicité pour la partie communication digitale et c’est avec grand plaisir que nous avons rejoint l’aventure ! Le titre, intitulé ‘Vesna-Mirabeau‘ est donc sorti le 26 octobre dernier, et nous ne pouvons que vous encourager à aller l’acheter ou le streamer. Nous avons donc souhaité lui donner la parole pour qu’elle nous parle de son parcours et de ses nombreuses expériences et qu’elle revienne sur la création de ce projet incroyable, qui n’en est qu’à ses débuts.

©Aaricia Varanda


Peux-tu présenter ton parcours et tout ce que tu fais aujourd’hui ? 

Enfant et adolescente en province, j’ai étudié la musique au conservatoire et je rêvais de travailler dans la musique et comme je n’avais alors aucune idée des différentes carrières potentielles dans la filière, j’ai suivi des études plutôt scientifiques et suis tombée amoureuse de l’ambiance des studios. Depuis 1992, j’ai passé des milliers d’heures derrière des consoles avec des magnétos à bandes à travailler avec des artistes pour des majors (Barbara, Jean-Louis Aubert, Véronique Sanson, Marianne Faithful…). Puis, avec l’arrivée de la MAO concomitante à la crise du disque, les méthodes de production phono ont drastiquement changé : moins de budgets, des lieux et des techniques plus mobiles, des projets plus formatés … C’est là que j’ai choisi de travailler plus particulièrement avec des artistes émergents et d’évoluer de la prise de son/mixage vers la réalisation.

De fil en aiguille, le home studio que je me suis constitué s’est étoffé et Studio d’Ikken a vu le jour en 2009. Peu à peu, les artistes DIY qui venaient me solliciter pour un devis, puis des conseils, m’ont demandé de les accompagner au-delà du simple aspect artistique pour les aider à structurer leur carrière. C’est là que j’ai commencé à mettre un doigt dans l’édition musicale et surtout les deux bras dans le management d’artistes.
Aujourd’hui, après 30 ans passés dans la filière musicale, je continue de réaliser, enregistrer et/ou mixer, mais aussi de proposer des missions de conseil (relecture de contrats, stratégie…) et de la formation professionnelle sur les domaines que je pratique.

Quelles sont tes différentes activités aujourd’hui avec Studio d’IKKEN ? 

L’organisation des activités du Studio d’Ikken s’organise autour de 3 branches :

Son : enregistrement, mixage avec ou sans réalisation.
Conseils : à l’heure ou au forfait, après écoute des projets de musiciens, je réponds aux questionnements liés à la structuration ou parfois sur l’aspect plus artistique.
Formations : en intervenant auprès d’organismes comme LFI (Les Formations d’Issoudun), le CNM ou le CIFAP, sur des thématiques liées à la production phono, le management d’artistes ou « simplement » sur les techniques de prises de son et de mixage.

Le 26 octobre dernier, tu sortais le single ‘Vesna-Mirabeau’, une reprise d’un titre du groupe ukrainien Okean Elzy, dont l’ensemble des bénéfices sont reversés au programme d’aide à l’Ukraine de l’UNICEF. Peux-tu revenir sur la genèse de ce projet ? 

Comme beaucoup de monde, l’émotion de voir l’Ukraine envahie militairement m’a saisie et j’étais partagée entre la volonté d’aider avec mes moyens et un grand sentiment d’impuissance. Et puis un matin, tout a commencé par une story sur un réseau social : Pasha Chorny, ingénieur du son à Kyiv, explique comment il dit se cacher dans des abris au lieu de s’occuper de musique. A la fin de cette vidéo relayée par un fabricant de matériel, il demande à ce que le reste du monde écoute de la musique ukrainienne afin que leur culture ne disparaisse pas.

Message reçu : j’ai commencé à chercher sur les plateformes de streaming des artistes ukrainiens pour en faire une playlist . Ca ne faisait que soulager (un peu) ma conscience, mais sans changer le cours des choses,  mais la réaction émue de Pasha m’a touchée et donné envie d’aller un peu plus loin…

Découvrir des artistes ukrainiens, leurs esthétiques, influences et discographies m’ont vraiment appris beaucoup. Et je suis tombée sur ce single d’Okean Elzy qui venait de sortir, comme prémisse d’un album qui aurait dû voir le jour en 2022 avec une tournée en Ukraine, et ailleurs dans le monde.

Pourquoi as-tu choisi le titre ‘Vesna’ en particulier ? 

Parmi les titres que j’avais sélectionnés, celui-ci m’a particulièrement attiré l’oreille parce que la mélodie est sacrément bien écrite, et qu’au sein des paroles ukrainiennes, des mots ont résonné : « A la guerre, comme à la guerre (!!!) , Apollinaire, Verlaine, Rimbaud, Mirabeau » Quelle claque ! Quel artiste français de large envergure est capable de citer des poètes ukrainiens ? Ca rend humble face à a richesse de nos cultures européennes. Depuis, j’ai découvert un peu l’oeuvre de Taras Chevtchenko et je continue à chercher à ouvrir les horizons. 🙂

Donc, en entendant ces mots français dans Vesna, je me suis dit que l’occasion était trop belle de reprendre ce titre pour créer un pont entre nous et engager une action collective qui générerait des fonds pour aider sur place. Ça m’a tourné dans la tête pendant 3 semaines, puis j’ai envoyé un mail à Okean Elzy pour leur proposer.
En deux jours j’ai eu une réponse positive, en moins d’une semaine j’ai reçu les stems du titre original et leur enthousiasme m’a portée ; je ne pouvais plus revenir en arrière. Quand j’ai dû choisir une association, les enfants et l’UNICEF m’ont paru la cause la plus naturelle. Association supranationale, et dont la cause est apolitique, cela dédouane les artistes d’une vision partisane et forcément réductrice qu’on aurait pu leur prêter.

Sur qui as-tu pu compter pour ce projet ? 

En étant dans la filière depuis longtemps, je sais à quel point produire un phonogramme est un travail d’équipe. Et puis, compte-tenu de l’enjeu humanitaire et de la notoriété d’Okean Elzy, il n’était pas question de se lancer dans une production au rabais, ni de servir des intérêts partisans.
Une fois cela posé, j’ai contacté de manière frénétique toutes les personnes que je soupçonnais sensibles à ce type d’initiative.
Jean-Louis Aubert a répondu tout de suite. Rémy Sarrazin aussi. Puis Myriam Serfass, une immense harpiste est venue au studio pour donner une couleur plus acoustique. Ullie Swan a enregistré tous les choeurs témoins que j’ai finalement gardés. Dima Tsypkin, originaire de Minsk, est venu jouer du violoncelle avec une émotion particulière. La solidarité des managers a fait le reste puisqu’au fur et à mesure que je construisais le nouvel arrangement et l’adaptation du texte  sont arrivés des artistes que je n’avais pas côtoyés auparavant : SanseverinoKentClarikaNeslesAurenNiki Demiller Florent Vintrigner de La Rue Kétanou. Tous ont été d’une générosité incroyable et ont aussi bien relayé la nouvelle de la sortie du titre. Etre bien entourée, dans un projet comme celui-ci est essentiel.
Régulièrement, je tenais Okean Elzy informé des avancées par le biais de Milos Jelic (clavier et arrangeur du groupe) en envoyant des liens privés sur Soundcloud.
Pour le mastering, Marie Pieprzownik à Translab a apporté son talent et beaucoup de générosité au service de ce morceau.
Et il a fallu aussi travailler sur la partie administrative.
Christophe Soulard a été le premier à rejoindre le navire pour l’élaboration des contrats tant avec les artistes qu’avec l’UNICEF ou la structure d’Okean Elzy.
Quand j’ai cherché un distributeur pour la sortie, l’esprit de solidarité envers l’Ukraine commençait à s’amenuiser alors que la guerre continuer elle, de s’enliser. C’est l’enthousiasme de Kuroneko qui a fait la différence.
Kristina Manjola et Viktoria Khomenko qui travaillent avec Okean Elzy ont aussi toujours été très réactives et disponibles, malgré les circonstances. Travailler avec une équipe qui vit la guerre au quotidien apporte humilité, respect et une appréciation du moment présent bien différente.

Au moment de la sortie, Apple, Napster, le SNEP et What The France ! se sont généreusement fait écho en relayant l’annonce ou en intégrant le titre en bonne position sur des playlists.
Outre Nüagency, il y a surtout eu sur la durée la confiance de mes proches (amis et famille) qui m’a permis de tenir la distance et de ne pas sombrer dans le découragement quand j’ai pu passer des journées entières à envoyer des dizaines de mails de relance pour continuer de fédérer des bonnes volontés avec parfois un succès … mitigé.
Bref, comme dit OrelSan  « Seule avec du monde autour ».

Près d’un mois après cette sortie, quels sont les moments les plus marquants de cette aventure ? 

Le yo-yo émotionnel a atteint plusieurs sommets durant ces 6 mois. Les signatures successives de contrat ont rendu l’idée de départ de plus en plus concrète. Le jour de la sortie, bien sûr, a été intense : la réaction des fans ukrainiens a été incroyable pour moi, et aussi ceux du monde entier par le biais des réseaux sociaux m’ont confirmé à quel point ce titre porte une réelle émotion.
Et puis, le point culminant a été le concert d’Okean Elzy au Zénith le 12 novembre où nous avons enfin pu nous rencontrer et discuter. Des moments magiques de remerciements mutuels.

Un dernier mot pour la fin ? 

Est-ce que la musique adoucit vraiment les mœurs ? Pas sûre, mais j’espère qu’au moins on aura réussi à apporter 3’45’’ de répit à chaque écoute.

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