Aujourd’hui, l’audiovisuel et la musique tirent chacun 50% de leur chiffre d’affaire du numérique, et pour les jeux vidéo, la proportion atteint même 74%. 45% des internautes sont abonnés à un service de streaming musical, et 22% sont abonnés à un service de télévision à la demande, dont 74% sur Netflix.
Aurélien Branger, chargé de mission offre légale à l’Hadopi a choisi de réunir des professionnels de trois industries que sont la musique, représentée par Emily Gonneau, le jeu vidéo avec Nabil Laredj, directeur Business Development & Licensing chez Blacknut et l’audiovisuel avec Alain Benguigui, producteur de films Sombrero Films, pour confronter leurs points de vue sur la manière dont les industries créatives s’adaptent au numérique.
« Les jeux vidéo se sont adaptés au numérique, mais pas dans la douleur. », a introduit Nabil Laredj. Aujourd’hui, les jeux vidéo représentent la deuxième industrie culturelle dans le monde, et 2018 est la première année où le digital l’emporte sur le physique au niveau du chiffre d’affaire. Le jeu vidéo physique est en perte de vitesse de 10 à 15% par an, et devrait cesser d’exister d’ici 2022.
Dans le secteur de l’audiovisuel, les supports ne sont pas les mêmes et les usages non plus. Par ailleurs, le cinéma s’inscrit dans une chronologie des médias, qui permet de préserver la production cinématographique et d’obtenir des moyens de financement. « L’arrivée des nouvelles plateformes numériques qui ne veulent pas respecter la règle de la chronologie, ni participer aux préfinancements des œuvres, fait que nous sommes les derniers à nous adapter au numérique. »
Emily Gonneau a ensuite rappelé le contexte dans l’industrie musicale. « Nous sommes la première industrie à avoir été touchée par le numérique », notamment avec le téléchargement illégal. Il y a eu une part de déni, le temps de réaction a été assez long et le diagnostic a été mal posé au début : « les maisons de disque pensaient que leur valeur ajoutée des maisons de disques, c’était les CDs, alors que c’était l’accès à l’artiste. » Mais aujourd’hui, les majors sont encore là et l’industrie a appris de ses erreurs.
Ensuite, Aurélien Branger a cherché à savoir quels sont les rapports des industries avec les nouvelles plateformes numériques. Pour Alain Benguigui, « nous n’étions pas préparés ». Les usages se redéfinissent : les téléspectateurs consomment de plus en plus de manière délinéarisée le cinéma et les séries, qu’on ne peut plus vraiment dissocier aujourd’hui. L’évolution du cinéma, de son industrie et ses financements est encore floue à ce jour. « Nous avons un pouvoir d’adaptation à ces nouveaux acteurs réduit par le coût de production des œuvres : un film coûte en moyenne 4 millions à d’euros à produire. »
De son côté, l’industrie du jeu vidéo a mis du temps à s’adapter et à investir sur le modèle du streaming. Le cloud gaming, comme service d’abonnement qui donne accès à un catalogue illimité de jeux, existe depuis longtemps, mais le coût de diffusion des jeux reste très élevé, a rappelé Nabil Laredj. Ces services ont dû convaincre les créateurs les contenus et les usagers. « Il y a un gros bouillonnement dans l’industrie en ce moment : les usages sont là, la technologie est là. »
Aurélien Branger s’est ensuite demandé si l’industrie de la musique était dépendante des plateformes de streaming. Emily Gonneau est donc revenue sur l’historique : Apple est le premier acteur numérique qui est arrivé. L’entreprise a offert ses services techniques, et l’industrie musicale « a donné les clés de la maison à quelqu’un qui n’a pas les mêmes façons de faire ni les mêmes valeurs. » Aujourd’hui, plusieurs plateformes de streaming existent, et cette compétition est intéressante : « on est dans un environnement où il existe des rôles complémentaires, où tous les acteurs démultiplient leurs offres : nous sommes dans un système interdépendant. »
Les trois intervenants ont ensuite fait état des évolutions de sources de revenus grâce au numérique dans leur industrie. Dans le secteur de l’audiovisuel, la salle est le support qui permet de générer le plus de revenus. Mais le cinéma est dans une crise de financements avec les revenus en baisse de Canal+ qui ne sont pas compensés par les nouvelles plateformes. En revanche, leur arrivée a permis de produire plus facilement des séries : « Le numérique est une vraie opportunité pour l’audiovisuel, pas le cinéma. », a conclu Alain Benguigui.
Dans l’industrie du jeu vidéo, le modèle économique est en plein changement. « On est passé du full price, avec des jeux à 70€ l’unité à un modèle freemium, qui génère le plus de revenus. », a expliqué Nabil Laredj. Dans ce modèle, les jeux sont faits pour rendre les joueurs accros et les influencer à dépenser de l’argent pour avoir de plus belles performances.
Aurélien Branger a demandé à Emily Gonneau si l’industrie de la musique pouvait diversifier ses revenus, notamment avec la transmission des concerts. « La diversification des revenus est un enjeu que l’industrie musicale a compris depuis longtemps, avec des contrats 360° portant sur les revenus de la musque enregistrée, du spectacle vivant et des éditions musicales », a-t-elle répondu. Les majors sont devenues actionnaires de Spotify dans une logique de diversification de leurs sources de revenus. Et aujourd’hui, les acteurs de la musique essayent de vendre des expériences plutôt que des contenus.
Aurélien Granger a ensuite demandé aux intervenants quel était le sentiment de leur industrie face au téléchargement illégal, en hausse notamment dans le secteur du cinéma : menace ou opportunité ? « Le téléchargement illégal est un problème pour l’ensemble de la filière, mais c’est également une force marketing, et ce n’est pas toujours néfaste. », selon Alain Benguigui. Cependant, ce n’est pas viable durablement : la France est le seul pays en Europe où la VOD ne croît pas, tandis que la SVOD se répand. « Plus il y a de plateformes, plus c’est compliqué pour le consommateur qui peut se sentir spolié. » Dans le domaine de la musique, l’arrivée massive des plateformes a également accéléré l’exclusivité des droits. « Il ne faut pas perdre de vue les fans et leurs usages. » selon Emily Gonneau. Pour le jeu vidéo, les plateformes de jeux ont permis une nouvelle offre commerciale accessible pour les joueurs. Aucun piratage n’est possible avec le streaming, mais on entre dans une logique où le jeu n’appartient plus au joueur, « c’est de la location », a rappelé Nabil Laredj.
Enfin, Aurélien Branger a demandé à Nabil Laredj et Alain Benguigui si leurs industries respectives avaient des conseils à donner à l’industrie musicale. Pour Nabil Laredj, il faut d’adosser à des startups, qui possèdent les technologies Quant à Alain Benguigui, il a souligné qu’il n’avait pas vraiment de conseils à donner dans la mesure où l’industrie musicale est intéressante car a su s’adapter en multipliant les canaux de diffusion vers ses publics. Emily Gonneau a rajouté qu’avant l’arrivée du numérique, les maisons de disque innovaient sur les formats, tant qu’elles avaient encore des départements de R&D. Elle a conclu la conférence sur le sujet de la découvrabilité des artistes, tributaire des algorithmes de chaque plateforme. « Nous ne sommes plus dans une industrie de masse, nous avons de gros réservoirs, mais nous ne pouvons plus faire avec un seul canal de distribution. »
Vous pouvez réécouter l’intégralité de ce panel sur le site du MaMA !